(Vienne) Il doit sa fortune au gaz russe mais depuis l’invasion de l’Ukraine, Dmytro Firtach a pris fait et cause pour son pays, mobilisant ses puissants moyens et ouvrant son usine de Sievierodonetsk à des centaines de civils.

Menacé d’extradition vers les États-Unis sur des soupçons de malversations, l’oligarque de 57 ans mène combat depuis ses bureaux de Vienne, où il vit sous strict contrôle judiciaire.

Dans un communiqué publié cette semaine, il s’est insurgé contre une guerre « complètement inutile », une « tragédie humanitaire intolérable ».

Ancien proche de l’ex-président ukrainien prorusse Viktor Ianoukovitch, M. Firtach assure aujourd’hui n’avoir « jamais » été l’allié du Kremlin.

« Mais vous devez comprendre que je suis un homme d’affaires. Mon objectif est de gagner de l’argent », arguait-il dans une récente interview sur la chaîne NBC.

Les sollicitations de l’AFP sont pour l’instant restées sans réponse.

Magnat du gaz

En Ukraine, il n’est guère fait mention de l’aide apportée dans le conflit par l’oligarque, qui avait été sanctionné par la présidence de Volodymyr Zelensky en juin 2021 pour avoir vendu des produits à base de titane à des entreprises militaires russes.

Magnat de l’industrie ukrainienne, Dmytro Firtach a bâti sa fortune sur l’importation de gaz russe et d’Asie centrale en Ukraine en lien avec le géant Gazprom.

Né le 2 mai 1965 dans la région de Ternopil (ouest) de père chauffeur et de mère comptable, il aidait tout jeune ses parents à cultiver des tomates pour arrondir les fins de mois, selon une biographie publiée sur le site internet de sa compagnie.  

Diplôme en poche, il se lance en 1988 dans les affaires et diversifie ses activités, qu’il rassemblera en 2004 au sein de la société de portefeuille Group DF.

Présente dans l’énergie, la chimie, les médias, les banques et l’immobilier en Ukraine et dans d’autres pays en Europe et Asie, elle compte quelque 100 000 employés.  

Refuge

À la nouvelle de l’offensive russe, le puissant patron, parmi les hommes les plus riches d’Ukraine, a mis à disposition des véhicules et autres moyens logistiques pour délivrer de l’aide humanitaire.

Il a également converti sa chaîne de télévision Inter, considérée comme prorusse avant la guerre, en un instrument au service des autorités ukrainiennes.  

Sur l’antenne, est désormais diffusé un populaire « marathon » d’information en continu reflétant la position officielle, de concert avec d’autres chaînes.

Mais c’est surtout avec l’annonce mardi, par son avocat américain Lanny Davis, que 800 civils, dont 200 employés, avaient trouvé refuge dans les sous-sols de l’usine chimique d’Azot, propriété de son groupe, que Dmytro Firtach a fait parler de lui.

Photo Gleb Garanich, REUTERS

L’usine chimique d’Azot, à Sievierodonetsk

Le bâtiment se situe dans la ville assaillie de Sievierodonetsk, ville stratégique dans la volonté de conquête par Moscou de l’intégralité du bassin du Donbass, dans l’est de l’Ukraine.

Vladimir Poutine « ne sortira pas vainqueur. Quoi qu’il arrive, la Russie perdra », lance M. Firtach.

Dans le viseur des États-Unis

Barbe blanche et costume impeccable, ce père de trois enfants a demandé aux procureurs l’autorisation de retourner en Ukraine pour participer à l’effort de guerre. Une requête qui lui a été refusée, rapportait CNN en mai.

Verrait-il dans le conflit une porte de sortie à sa prison dorée viennoise ?

Car depuis 2014, Dmytro Firtach ne peut quitter l’Autriche, où il avait été arrêté à la demande du FBI, la police fédérale américaine. Il a été remis en liberté contre une caution record de 125 millions d’euros.

Les États-Unis veulent le juger pour des faits de corruption liés à l’exploitation d’une mine de titane en Inde. Lui-même rejette les accusations.

Photo HERBERT NEUBAUER, archives Agence France-Presse

Dmytro Firtash lors d’une audience devant la Cour suprême autrichienne à Vienne, en juin 2019

En 2019, la Cour suprême autrichienne avait donné son feu vert à son extradition mais depuis, ses avocats ont interjeté des recours.

En attendant le dénouement de cette bataille judiciaire, Dmytro Firtach ronge son frein à Vienne, loin du conflit qui ravage son pays.

Il se réjouit cependant de voir l’Ukraine soudée comme jamais. « Pour cela, on peut remercier Vladimir Poutine », ironisait-il sur NBC : « en 30 ans, c’est le seul politicien à avoir réussi à unir » cette « singulière nation ».