Discrète. Atone. Soporifique. Inexistante. Les adjectifs ne manquent pas pour décrire la campagne des législatives en France.

Malgré les efforts de Jean-Luc Mélenchon pour animer le débat avec sa coalition de gauche, le manque d’intérêt se mesure jusque dans les médias, qui ne traitent le sujet qu’après l’Ukraine, le pouvoir d’achat, les crises dans les urgences ou les faits divers.

Sans surprise, les sondages prévoient une très faible participation pour ce scrutin, dont le premier tour est prévu ce dimanche, et le second une semaine plus tard.

Si la tendance se maintient, on pourrait même atteindre un taux record de 55 % d’abstention, soit 4 points de plus qu’en 2017, du jamais vu pour des élections nationales.

À quoi tient ce désengagement ?

À des raisons structurelles, d’abord.

Parce qu’elles ont lieu dans la foulée de la présidentielle (six semaines plus tard cette année), les élections législatives sont généralement jouées d’avance : c’est toujours le parti du président qui l’emporte. Cette « formalité » fait que l’électorat se mobilise moins d’entrée de jeu.

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Emmanuel Macron, président français

À des raisons stratégiques, ensuite.

Pour Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble, il est clair qu’Emmanuel Macron et sa nouvelle alliance gouvernementale (Ensemble) ont volontairement neutralisé le débat à des fins électorales.

« Ce n’est pas un hasard, c’est voulu, explique le politologue. Le pouvoir en place table sur une campagne invisible, amorphe, parce que cela encourage l’abstention. Or, cette abstention devrait lui bénéficier parce qu’elle touche généralement les gens qui sont mécontents : les étudiants, les ouvriers, les gens d’extrême droite, qui ne sont pas son électorat. »

À des raisons « pandémiques », enfin.

On n’a pas encore fini de mesurer les impacts de la COVID-19 sur nos vies, mais pour le politologue Thomas Guénolé, il ne fait aucun doute que la crise sanitaire a remis les priorités dans l’ordre pour une grande partie de la population.

« Avec cette assignation à résidence pendant plusieurs mois, on s’est tous posé des questions sur soi et où on en est dans notre vie, observe le politologue. Au sortir de cela, il y a des choses qui nous semblent moins importantes qu’avant, et la vie politique professionnelle en fait partie. Disons qu’on préfère cultiver son jardin… »

La NUPES, malgré tout

Il y a quand même un peu d’action dans cette campagne sans relief, et on la doit au leader du parti de gauche radicale La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

Dynamisé par sa surprenante troisième place à l’élection présidentielle, ce vieux routier de la politique française a réussi un coup de maître en forçant la création d’une coalition de gauche sur laquelle il règne en roi et maître.

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Une dame passe devant des pancartes électorales de la NUPES, vendredi, à Saint-Jean-de-Luz, en France.

La NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) réunit non seulement sa formation politique, mais aussi les socialistes, les verts et les communistes, trois partis sévèrement amochés à la présidentielle, qui profitent de cette alliance pour exister, au prix de compromis qui n’ont pas fait l’unanimité.

Mélenchon, 70 ans, fait le pari que ce front commun réveillera un électorat de gauche avide d’union et remportera la majorité absolue à l’Assemblée nationale (289 sièges sur 577). Il estime que cette cohabitation obligerait Emmanuel Macron à le nommer premier ministre. Un scénario que ce dernier a ouvertement rejeté cette semaine, arguant qu’aucun parti politique « ne peut imposer un nom au président ».

Le problème pour Macron est que son choix, quel qu’il soit, devrait ensuite être soumis à une Assemblée dominée par… la NUPES de Mélenchon.

Encore faut-il que Mélenchon remporte son pari, ce qui est loin d’être fait.

Malgré une nette dynamique lui conférant un léger avantage au premier tour, les sondages ne donnent pour l’instant qu’entre 175 et 215 sièges à la NUPES, contre de 260 à 300 pour la Macronie au terme du second tour. Avec ce score, la coalition de gauche s’imposerait toutefois comme force d’opposition officielle, loin devant Les Républicains (de 30 à 50 sièges) et le Rassemblement national (de 20 à 30 sièges).

« Ce qui est intéressant avec cette campagne, c’est que, bien qu’elle soit atone, elle est incertaine », souligne Jean Petaux. Le politologue estime que la NUPES a « 3 chances sur 10 de l’emporter », une « hypothèse limitée, mais pas nulle ». Il faudrait pour cela que la NUPES arrive en tête dès le premier tour dans un « nombre significatif de circonscriptions et avec un écart considérable par rapport à Ensemble ».

Face à cette soudaine menace, Emmanuel Macron a donné un coup d’accélérateur dans les médias cette semaine. Visant Mélenchon et Marine Le Pen, le président a notamment fustigé les « extrêmes » qui « proposent d’ajouter de la crise à la crise en revenant sur les grands choix historiques de [la] Nation » et demandé aux Français de lui accorder « une majorité forte et claire » aux législatives.

À suivre.

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  • 577
    Nombre de sièges à l’Assemblée nationale française
    289
    Nombre de sièges nécessaires à la majorité absolue