(Kyiv) Des combats intenses se poursuivaient mardi pour le contrôle de Sievierodonetsk, ville-clé de l’est de l’Ukraine dont Moscou a affirmé avoir « libéré » les zones résidentielles, tandis que la Russie est accusée de « chantage » sur les exportations de blé ukrainien.

Ce que vous devez savoir

  • Moscou dit avoir « libéré » les zones résidentielles de Sievierodonetsk ;
  • Près de 600 Ukrainiens détenus par les Russes dans la région de Kherson ;
  • L’ex-président Dmitri Medvedev s’en prend aux « dégénérés » voulant la « mort » de la Russie ;
  • L’Ukraine s’oppose à ce que le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique Rafael Grossi se rende à la centrale nucléaire de Zaporijjia ;
  • Le chef des séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine a confirmé mardi la mort d’un général russe dans cette région.
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« Les zones résidentielles de Sievierodonetsk ont été totalement libérées », a affirmé dans un rare briefing télévisé le ministre russe de la Défense Serguëi Choïgou, ajoutant que « la prise de contrôle de sa zone industrielle et des localités voisines se poursuit ».

« Ils ne contrôlent pas la ville », autrefois connue pour son industrie chimique et qui aujourd’hui « est complètement détruite », a rétorqué mardi soir dans un message vidéo sur Telegram le gouverneur de la région de Louhansk, Serguiï Gaïdaï.

« Toutes les forces, toutes les réserves ont été mobilisées par l’ennemi, l’armée russe, pour couper la grande route Lyssytchansk-Bakhmout afin de prendre Sievierodonetsk. Ils bombardent très violemment Lyssytchansk », a déclaré le gouverneur.

De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a assuré dans son adresse vidéo quotidienne mardi soir que « la situation sur le front n’a pas changé significativement ces 24 dernières heures ».

Sievierodonetsk est, avec sa ville voisine Lyssytchansk, la dernière agglomération encore sous contrôle ukrainien dans la région de Louhansk. Sa prise ouvrirait aux Russes la route de Kramatorsk, grande ville de la région de Donetsk.  

« Il est très difficile de tenir Sievierodonetsk », a admis M. Gaïdaï, parlant de « mission impossible ».

« Nous avons un besoin vital d’armes lourdes qui peuvent contrer l’artillerie ennemie […] Nos gars sont forts mentalement, et ils ne demandent qu’une chose : nous avons besoin d’artillerie occidentale », a demandé le gouverneur du Louhansk. « Et à ce moment-là, en affrontement direct, il ne fait aucun doute que les Russes perdront ».

Les régions de Donetsk et Louhansk forment le bassin du Donbass, partiellement sous contrôle de séparatistes prorusses depuis 2014, dont Moscou cherche désormais à prendre le contrôle total.

À Sievierodonetsk, « environ 800 civils » sont réfugiés dans une usine chimique, a affirmé mardi l’avocat américain du magnat ukrainien Dmytro Firtach, propriétaire du site. « Parmi ces 800 civils figurent environ 200 des 3000 employés de l’usine et environ 600 habitants de Sievierodonetsk ».  

Selon un communiqué, les 200 employés toujours présents dans l’usine « restent […] pour assurer la protection des produits chimiques hautement explosifs ».

La situation rappelle celle de Marioupol, grand port du Sud-Est dévasté par près de trois mois de bombardements, où des centaines de personnes, combattants et civils ukrainiens, s’étaient abritées pendant des semaines dans les abris souterrains de l’immense complexe métallurgique Azovstal, assiégé par les Russes.

Mort d’un général russe

Témoin de l’intensité des combats dans le Donbass, le chef des séparatistes prorusses Denis Pouchiline a confirmé mardi sur Telegram la mort d’un général russe, Roman Koutouzov, rapportée dimanche par un correspondant de guerre russe.  

Plusieurs généraux russes sont morts depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février. Leur nombre exact est invérifiable, les autorités russes communiquant rarement sur leurs pertes.

« Plus de 31 000 soldats russes sont morts en Ukraine », a affirmé le président ukrainien Zelensky mardi soir. « Depuis le 24 février, la Russie paie pour cette guerre complètement insensée plus de 300 vies de ses soldats chaque jour. Mais il y aura un jour où, même pour la Russie, le nombre de pertes deviendra inacceptable ».

La bataille se poursuit aussi dans le Sud, où Kyiv essaie de reprendre le terrain occupé par les Russes dans les régions de Kherson et Zaporijjia.  

Les militaires ukrainiens ont affirmé avoir effectué des frappes contre des campements russes près de Kherson et des dépôts de munitions près de la ville de Mykolaïv.  

L’Ukraine a également accusé mardi l’armée russe d’avoir emprisonné et de torturer près de 600 personnes, essentiellement des journalistes et des militants pro-Kyiv, dans la région de Kherson.  

« Selon nos informations, ils sont détenus dans des conditions inhumaines et sont victimes de tortures […] dans des sous-sols spécialement aménagés », a accusé Tamila Tacheva, représentante du président ukrainien pour la Crimée, péninsule ukrainienne frontalière de Kherson et qui a été annexée par Moscou en 2014.

Dans la région de Zaporijjia, les Russes occupent notamment une grande centrale nucléaire, qui fournissait avant-guerre 20 % de l’électricité ukrainienne.  

Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Rafael Grossi a tweeté lundi que son organisation préparait une mission d’experts à la centrale, mais l’opérateur ukrainien Energoatom s’y est opposé mardi tant que Kyiv n’en aurait pas le contrôle. Une visite sous contrôle russe viendrait à « légitimer la présence des occupants », a estimé Energoatom sur Telegram.  

Plusieurs responsables russes ont indiqué ces dernières semaines vouloir occuper ces régions du Sud ukrainien de façon durable. Un proche du Kremlin a évoqué un référendum sur une annexion à la Russie qui pourrait avoir lieu dès juillet.

Chantage au blé

Une bataille économique se joue également, celle des ressources en blé de la superpuissance céréalière qu’est l’Ukraine.

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov est arrivé mardi soir en Turquie pour discuter de l’instauration de couloirs maritimes sécurisés pour l’exportation de céréales en mer Noire. Moscou rejette toute responsabilité dans cette crise, due selon elle aux seules sanctions occidentales.

M. Lavrov doit rencontrer mercredi son homologue turc, Mevlüt Cavusoglu, avec qui il discutera de la possibilité pour l’Ukraine d’exporter ses récoltes bloquées dans ses ports. Ce blocage fait flamber les prix et peser un grave risque de famine dans certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient.

À la demande des Nations unies, la Turquie a proposé son aide pour escorter les convois maritimes depuis les ports ukrainiens, malgré la présence de mines dont certaines ont été détectées à proximité des côtes turques.

La presse ukrainienne a assuré que les discussions prévues mercredi à Ankara associeront, outre la Turquie et la Russie, « les Nations unies et l’Ukraine ». Mais l’ambassade d’Ukraine à Ankara a démenti tout contact entre l’ambassadeur Vasyl Bodnar et M. Lavrov.

Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a, lui, accusé Moscou de « chantage » à la levée des sanctions internationales par son blocage des exportations de blé de l’Ukraine, et jugé « crédibles » les informations de Kyiv selon lesquelles la Russie « vole » des tonnes de céréales ukrainiennes, « pour les vendre à son propre profit ».

Selon le quotidien américain New York Times, Washington avait averti mi-mai 14 pays, principalement en Afrique, que des cargos russes transportaient des « céréales ukrainiennes volées ».

Mardi soir, le ministère russe de la Défense a accusé les « combattants des bataillons nationalistes » ukrainiens d’avoir « incendié à dessein un important dépôt de céréales » dans le port de Marioupol. « Plus de 50 000 tonnes de céréales ont ainsi été détruites », a assuré le général Mikhaïl Mizintsev, accusant Kyiv de « terrorisme alimentaire à l’égard de son propre peuple ».

« La Russie raconte que la pénurie alimentaire incombe à l’Ukraine… C’est faux », avait martelé lundi le président Zelensky. La quantité de céréales destinées à l’exportation et bloquées en Ukraine par les Russes pourrait tripler d’« ici à l’automne » pour atteindre 75 millions de tonnes, selon lui.

« Nous avons besoin de couloirs maritimes et nous en discutons avec la Turquie et le Royaume-Uni » ainsi qu’avec l’ONU, avait poursuivi le président ukrainien.

À Kyiv, les Ukrainiens se pressent pour observer casques, rations alimentaires et missiles récupérés suite au retrait de l’armée russe des zones occupées et montrés dans une exposition nommée « Ukraine-Crucifixion ».

« Ici on peut voir et toucher la guerre du doigt », explique à l’AFP le commissaire Iouri Savtchouk. « C’est aussi le but : choquer les gens pour qu’ils se rendent compte de ce qui se passe ».

Aide supplémentaire de 1,49 milliard de dollars

Le Conseil d’administration de la Banque mondiale a approuvé mardi un financement supplémentaire de 1,49 milliard de dollars en faveur de l’Ukraine pour aider le gouvernement à payer les salaires des fonctionnaires et des travailleurs sociaux.

Ce nouveau financement porte à plus de 4 milliards de dollars le financement de la Banque mondiale.

Le 8 mars, l’institution avait approuvé une aide de trois milliards avec un décaissement immédiat de 489 millions.

Près de 2 milliards de dollars sont désormais décaissés, a précisé la Banque mondiale dans un communiqué.

Elle précise que le nouveau projet a bénéficié de garanties de financement du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Lituanie et de la Lettonie.

« Le portefeuille de projets de la Banque mondiale en Ukraine soutient l’amélioration des services publics qui profitent directement aux citoyens ordinaires, dans des domaines tels que l’approvisionnement en eau, l’assainissement, le chauffage, l’électricité, l’efficacité énergétique, les routes, la protection sociale, l’éducation et les soins de santé », a précisé l’institution dans un communiqué.

« Le maintien de ces services de base et la capacité du gouvernement à les fournir sont essentiels pour prévenir une nouvelle détérioration des conditions de vie et de la pauvreté en Ukraine au-delà des souffrances infligées à la population en raison de la guerre », a déclaré le directeur de la Banque mondiale pour l’Europe de l’Est, Arup Banerji.

Il note aussi que maintenir les capacités de fonctionnement du gouvernement sera « le fondement de toute reprise et reconstruction ».