(Donbass) Pendant que les combats font rage dans le Donbass et que l’armée russe semble gagner chaque jour du terrain, certains habitants restent convaincus d’une victoire ukrainienne. Mais pour les soldats sur le front, l’heure n’est plus à l’optimisme, a constaté notre collaborateur.

Le contraste est saisissant. À Kyiv, deux musées accueillent les visiteurs avec des carcasses de véhicules blindés russes, des restes d’hélicoptères abattus au début de la guerre et d’autres reliques du passage des troupes ennemies. Dans la capitale, où les troupes russes se sont retirées au début du mois d’avril, c’est comme si la guerre appartenait au passé.

PHOTO UESLEI MARCELINO, REUTERS

Un homme se tient à côté de pièces endommagées d’un hélicoptère russe présentées dans le cadre d’une exposition sur l’invasion russe en Ukraine, au Musée de l’histoire de l’Ukraine dans la Seconde Guerre mondiale, à Kyiv, en mai dernier.

Pourtant, à quelques centaines de kilomètres à l’est, le rouleau compresseur russe continue d’avancer. La ville de Sievierodonetsk vit sous un déluge de feu et pourrait devenir un nouveau Marioupol. Quelque 80 % de la ville serait aux mains des Russes et 90 % de la ville serait détruite, d’après le gouverneur de la région de Louhansk, Serguïï Gaïdaï.

« Je sais que nous allons gagner »

Sergi, 36 ans, est originaire de cette ville industrielle qui comptait 100 000 habitants avant la guerre. Il y a vécu toute sa vie. Journaliste à la télévision locale, il a dû fuir avec toute sa famille, après le bombardement de son appartement. Il y a quelques jours, pour la première fois, il est retourné dans la ville voisine de Lyssytchansk. De ses hauteurs, il pouvait voir sa propre ville partir en fumée. « J’ai essayé d’aller me recueillir sur la tombe de mon frère, à Siversk, juste à côté, mais j’ai dû faire demi-tour. Il y a des bombardements en continu, il n’y a que des cratères d’obus là où il y avait des cerisiers en fleurs, il y a un an. »

Sergi n’a pourtant rien perdu de sa foi en la victoire ukrainienne. « Ce n’est ni de l’espoir ni un vœu pieux, je sais que nous allons gagner », dit-il.

Les Russes ne se battent pas seulement contre l’armée ukrainienne, mais contre tout un peuple. L’échec de la guerre de Poutine en Ukraine marquera la chute de l’empire russe.

Sergi, originaire de Sievierodonetsk

Ils sont nombreux à penser comme lui que l’issue de la guerre leur sera favorable. Olekseï, 43 ans, a troqué sa casquette de directeur d’un studio de danse, à Sloviansk, contre celle de coursier entre le front et l’arrière. Plusieurs fois par semaine, il entreprend la longue route jusqu’à Dnipro, la plus grande ville à l’ouest du Donbass, pour récupérer du matériel à destination des soldats sur le front.

En 2014, lorsque Sloviansk avait été occupé par les séparatistes prorusses pendant quelques mois, il avait quitté la ville. Pas cette fois. « Les choses ont bien changé depuis 2014, plus personne ne voit la Russie comme un pays frère. Ils pensaient être accueillis avec des fleurs, mais ils ont été accueillis par des tanks. Leur armée est au bout du rouleau », veut croire Olekseï.

PHOTO HUGO LAUTISSIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Ivan, 32 ans et Nina, 30 ans, exploitent le dernier café de Sloviansk.

À Sloviansk, dans le dernier café encore ouvert de la ville, Ivan, 32 ans et Nina, 30 ans, les propriétaires, croient aussi dur comme fer à une victoire de l’armée ukrainienne. La ville est un objectif militaire et symbolique pour Moscou dont les troupes se rapprochent, à moins de 30 km.

« On ne fermera pas tant que les Russes ne sont pas aux portes de la ville, soutient Nina. On aime à croire que c’est plus qu’un café, ici, c’est la civilisation qui refuse de partir. » Ils dessinent le trident, symbole de la nation ukrainienne sur les cappuccinos des soldats venus chercher un moment de repos. « On manque de munitions, de fioul, mais on tient. Les Russes sont démoralisés. Pas nous, avance Andrew, un soldat originaire de Kyiv en sirotant son café. On se bat pour notre terre, c’est pour ça qu’on va gagner. »

« Chair à canon »

Mais plus on se rapproche du front, moins l’issue du conflit semble faire l’unanimité. En trois mois de guerre, l’armée ukrainienne a été mise à rude épreuve et l’étau russe se resserre. Les soldats se plaignent notamment du manque d’armes lourdes promises par les Occidentaux. « Ça devient très dur », explique Andrew, dont le groupe ne comprend plus que 4 combattants en vie sur les 60 au départ. Mercredi, le président ukrainien a annoncé que les forces ukrainiennes perdaient chaque jour entre 60 et 100 soldats, tués au combat.

Dans la ville de Bakhmout, située à quelques kilomètres des combats, des soldats se reposent dans le dernier kebab ouvert dans la ville. Tous ont l’air exténués. Nikita, la trentaine, enchaîne les cigarettes. Il revient de Soledar, petit village pilonné constamment par l’armée russe. Trois civils y sont morts durant la matinée. « Nous ne sommes que des pions. Il y a la hiérarchie au-dessus et ensuite il y a nous, et on nous dit : “En avant, en avant !” On est vraiment de la chair à canon. »

Son acolyte, Alexeï, 56 ans, a déjà combattu dans le Donbass entre 2014 et 2016. « Tout est différent maintenant. C’est une guerre d’artillerie. À l’époque, c’était une guerre de fantassins. On est bombardés par des avions, des hélicoptères, des tanks, des mortiers, des missiles Grad. Qu’est-ce qu’on peut faire contre ça ? Une mitrailleuse contre un char… quelles sont nos chances d’après vous ? »