Pas de géant dans les relations diplomatiques entre Québec et Barcelone. Une délégation de la Catalogne ouvrira bientôt ses portes dans la Vieille Capitale. La Presse en profite pour faire le point sur l’indépendance et le scandale de logiciels espions qui secoue actuellement cette région espagnole, avec sa ministre de l’Action extérieure, Victòria Alsina Burgués, de passage à Montréal jeudi.

La dernière fois que nous avons parlé, il y a tout juste un an, Barcelone et Madrid devaient se rencontrer pour parler de l’avenir politique de la Catalogne. Qu’ont donné ces discussions ?

En un mot ? Rien. Nous voulions parler de l’organisation d’un référendum – auquel la société catalane est favorable à 70 % – et de l’amnistie des prisonniers politiques. Nous avons compris qu’il s’agissait d’une opération de marketing pour le gouvernement central (du socialiste Pedro Sánchez), qui avait besoin de notre appui pour se maintenir au pouvoir. Une seule rencontre a eu lieu. Il ne s’est rien passé par la suite. Les relations sont encore plus tendues maintenant à cause de cette affaire d’espionnage massif qui réduit grandement notre niveau de confiance.

Vous parlez évidemment du « Catalangate ». Une organisation de Toronto, le Citizen Lab, a révélé en avril que 65 personnalités indépendantistes avaient été espionnées sur leur téléphone par le logiciel espion Pegasus de 2017 à 2020. C’est énorme. Comment réagit votre gouvernement ?

Le ministre de la Défense espagnole a admis ces faits et la responsable de l’intelligence espagnole [Paz Esteban] a démissionné dans la foulée. Mais, pour nous, ce n’est pas suffisant, parce que quelqu’un lui donnait des ordres, et nous voulons savoir qui. C’est pourquoi nous réclamons une commission d’enquête indépendante pour savoir ce qui s’est passé et qui sont les responsables. Pourquoi ont-ils espionné des leaders, militants et politiciens indépendantistes, alors que nous sommes dans un pays membre de l’Union européenne (UE), où l’on s’attend à un certain standard démocratique ? Nous voulons avoir accès à cette information.

Le premier ministre espagnol a affirmé qu’il n’était pas au courant. Est-ce possible ?

Non. Et si c’est le cas, il y a un autre problème. Cela veut dire qu’il ne contrôle pas son gouvernement.

L’opposition, à Madrid, prétend que cette surveillance était légale, car elle a été autorisée par la Cour suprême…

La loi espagnole est claire à ce sujet : l’espionnage est permis pour quelque chose de précis, pour une courte période et une justification solide. Ce qu’ils ont fait, c’est de la prospection. Ils sont allés à la pêche sur plusieurs années. On pourrait donc plaider que ce n’était pas légal.

Quel effet peut avoir ce scandale sur le mouvement indépendantiste catalan ? Peut-il raviver la flamme ?

Il ne faut pas le voir comme ça. Pour nous, cette attaque fait partie d’une conversation plus globale sur les droits numériques, les droits politiques, les droits fondamentaux, les droits de la personne. Il se passe d’ailleurs des choses intéressantes de ce côté. L’UE vient de créer une commission pour enquêter sur Pegasus, qui a aussi été utilisé au sein du Parlement européen et même sur Emmanuel Macron. C’est une bonne chose. L’UE doit protéger la qualité des systèmes démocratiques de ses pays membres.

Autre révélation : on apprenait récemment qu’un émissaire de Vladimir Poutine aurait offert un soutien militaire (10 000 hommes) et financier (500 milliards US) aux Catalans en 2017, pour aider la région à devenir indépendante. Qu’en dites-vous ?

Cela fait plusieurs années qu’on essaie de décrédibiliser de diverses façons le mouvement indépendantiste. C’en est un autre exemple. Le bureau de Carles Puigdemont (président de la Catalogne au moment des faits) a reconnu avoir eu une rencontre avec cette personne qu’il ne connaissait pas. Mais cette rencontre est restée sans suite.

On dit pourtant que les contacts se seraient maintenus…

Il y a beaucoup de désinformation pour créer cette fausse connexion. Si on regarde toutes les activités parlementaires du président Puigdemont, ou même avant, il est clair qu’il a toujours été concentré sur la démocratie et les droits de la personne. Une autre preuve : le gouvernement catalan a des délégations dans 63 pays, et la Russie n’en fait pas partie. Ce que je dis, c’est qu’il s’agit là d’une opération politique menée par les médias espagnols et des journalistes espagnols liés à l’extrême droite, dont certains ont été blâmés dans le passé pour leur mauvais travail.

Soixante-trois délégations dans le monde… et bientôt une dans la ville de Québec. Ce qui explique d’ailleurs votre présence ici. Pourquoi maintenant ?

Je suis arrivée à ce poste il y a un an jour pour jour. Il y avait des choses sur mon bureau que je ne comprenais pas parfaitement. Parmi celles-ci, le fait qu’un bureau de la Catalogne n’avait jamais été ouvert au Québec, même si nous coopérons depuis 25 ans. J’en ai donc fait une priorité. Un bureau au Québec va nous permettre de renforcer nos liens sur les plans politique, culturel, économique. En ayant une équipe sur place, cela va nous permettre de créer plus d’occasions, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le bureau sera fonctionnel avant la fin de l’année, en espérant pouvoir travailler dès septembre avec notre équipe de trois personnes. On verra avec le temps et selon les projets si ce nombre est suffisant.