Tout indique que le premier ministre du Royaume-Uni survivra au rapport d’enquête sur le partygate déposé mercredi. Comment est-ce possible ?

La saga du partygate serait-elle terminée ?

Ce scandale qui embarrasse le premier ministre Boris Johnson depuis plusieurs mois semble en tout cas se dénouer, avec la publication, mercredi, d’un rapport d’enquête très attendu qui pourrait mettre un point final à la controverse.

Signé par la haute fonctionnaire Sue Gray, réputée intraitable, le rapport met en cause les plus hauts échelons du pouvoir pour ces évènements qui « n’auraient pas dû être autorisés ».

Mais il ne nomme aucun responsable ni ne recommande de sanctions, au grand soulagement de M. Johnson, qui est passé bien près d’y perdre son job.

Véritable feuilleton politique au Royaume-Uni depuis six mois, le partygate concerne une série de fêtes illégales qui ont eu lieu à Downing Street (résidence du premier ministre) en mai 2020, alors que la population britannique était tenue au confinement pendant la crise de la COVID-19.

Le rapport détaille, courriels et photos à l’appui, ce qui se déroulait alors dans les coulisses : soirées très alcoolisées, musique, départ par des portes dérobées et parfois irrespect pour les agents de sécurité ou les employés d’entretien.

Certains des fonctionnaires les moins expérimentés ont cru que leur participation à certains de ces évènements était autorisée étant donné la présence de hauts dirigeants. Les hauts dirigeants, qu’ils soient politiques ou officiels, doivent assumer la responsabilité de cette culture.

Sue Gray, dans son rapport

Réagissant à cette tape sur les doigts, Boris Johnson a renouvelé ses excuses mercredi devant les députés et dit assumer « l’entière responsabilité de tout ce qui s’est passé », mais il s’est dit déterminé à rester en poste pour « se concentrer sur les priorités des Britanniques ».

Il est temps de « passer à autre chose », a-t-il déclaré, comme si le chapitre était clos. Sa seule punition aura été une amende de 50 livres (80 $) pour avoir assisté à une fête donnée pour son anniversaire.

La chance et le charisme

Boris Johnson s’en tire donc à bon compte. Une fois de plus. Car ce politicien, souvent qualifié de « téflon », semble avoir un talent particulier pour survivre aux controverses.

Journaliste, il a été renvoyé pour des citations inventées dans le Times avant de devenir chroniqueur vedette au Telegraph. Député, il a perdu son siège pour avoir menti sur une liaison avant d’être propulsé en orbite comme maire de Londres.

Depuis qu’il est premier ministre, les polémiques se succèdent. Un voyage dans les Caraïbes payé par un mécène. De la tapisserie de luxe dans sa résidence, aux frais des contribuables. Des dépenses non déclarées, des mensonges sur les effets du Brexit, des manquements à la loi.

Mais les conséquences sont minimes. Même affaibli, Boris Johnson est toujours là.

Quel est donc son secret ?

Politiquement, je pense que c’est un mec extrêmement intelligent, qui sent bien les choses. Mais il a aussi la chance avec lui, c’est indéniable.

Tristan de Bourbon, journaliste et auteur du livre Boris Johnson – Un Européen contrarié

La chance ? En pleine crise du partygate, M. Johnson est passé bien près d’être remplacé à la tête du Parti conservateur. Mais il a bénéficié du manque de relève. Aucun de ses successeurs potentiels n’est apparu capable d’occuper son siège, à commencer par son dauphin désigné, le ministre des Finances Rishi Sunak, lui-même embêté par un scandale financier.

PHOTO DANIEL LEAL, ASSOCIATED PRESS

Rishi Sunak, ministre des Finances

La guerre en Ukraine lui a aussi permis de faire diversion sur ses problèmes, en s’imposant comme un soutien international de premier plan pour le président Volodymyr Zelensky. En avril, la couverture du magazine satirique Private Eye montrait d’ailleurs les deux hommes se serrant la main en prononçant les mêmes mots : « Merci d’avoir sauvé mon job. »

Sa personnalité explique aussi certaines choses. Bonimenteur avéré, Boris Johnson manipule les faits à sa guise. Or, plus les mensonges sont gros, plus ils passent.

Il va faire et dire tout ce qu’il faut pour traverser les crises et reporter les problèmes à plus tard.

Christopher Stafford, professeur de politique à l’Université de Nottingham

Tristan de Bourbon présente aussi M. Johnson comme un adepte de la pensée magique, qui déploie « beaucoup d’énergie pour changer la réalité ». Mais selon lui, c’est son charisme qui le sauve. Le type a beau accumuler les casseroles, il reste sympathique aux yeux de beaucoup.

« Les gens pensent que ça pourrait être leur voisin, avec qui ils iraient boire un coup au pub, dit-il. Ils le trouvent sympa. Ils disent qu’il a du punch. Et surtout qu’il est positif. C’est ce que les gens veulent. Un leader positif. »

Le partygate a certes fissuré cette perception, reconnaît Tristan de Bourbon. Mais « comme cette crise ne remet pas en cause son travail de premier ministre », la pilule a fini par passer, estime le journaliste.

On peut ainsi prévoir que Boris Johnson restera en poste jusqu’aux prochaines élections britanniques, prévues en 2023 ou 2024. Mais avec l’inflation qui explose au Royaume-Uni (9 % en avril), cette dernière ligne droite ne s’annonce pas de tout repos.

Il lui faudra beaucoup de pensée magique et de nouvelles diversions pour traverser les turbulences qui s’annoncent.