(Kyiv, Severodonetsk) Le Congrès américain a débloqué jeudi une gigantesque enveloppe de 40 milliards de dollars pour l’Ukraine, au moment où Moscou obtenait une victoire symbolique avec les images de centaines de combattants ukrainiens émergeant, hagards, de l’usine Azovstal de Marioupol où ils étaient retranchés depuis des semaines.

Ce que vous devez savoir

  • L’ONU exhorte la Russie et l’Ukraine à reprendre les pourparlers ;
  • Au moins 12 morts dans des bombardements russes sur Severodonetsk ;
  • Les États-Unis ont débloqué 40 milliards pour l’Ukraine ;
  • La Russie a annoncé jeudi la reddition de 1730 militaires ukrainiens du site sidérurgique Azovstal à Marioupol ;
  • Joe Biden a accueilli jeudi la première ministre suédoise Magdalena Andersson et le président finlandais Sauli Niinistö, en marge de leur candidature à l’OTAN ;
  • La justice ukrainienne a requis jeudi la prison à perpétuité, la peine maximale, à l’encontre du premier soldat russe jugé pour crime de guerre à Kyiv ;
  • Les grands argentiers du G7 se réunissaient jeudi en Allemagne pour tenter de maintenir à flot les finances de l’Ukraine.
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Six milliards de dollars de cette nouvelle aide américaine doivent notamment permettre à l’Ukraine de s’équiper en véhicules blindés et de renforcer sa défense antiaérienne à l’heure où les combats font rage dans l’est et le sud du pays. Moscou s’est résolu à y concentrer ses efforts après avoir échoué à prendre Kyiv et Kharkiv au Nord.

Le projet de loi n’a plus qu’à être promulgué par le président Joe Biden, qui réclamait cette énorme rallonge budgétaire pour soutenir Kyiv dans la nouvelle phase du conflit, après les 14 milliards de dollars déjà débloqués par le Congrès mi-mars.

Les ministres des Finances du G7, réunis en Allemagne, ont justement commencé jeudi à faire le compte des milliards que chaque pays pouvait débourser rapidement pour soutenir l’économie et l’effort militaire ukrainiens.

Ces aides très attendues par l’Ukraine interviennent au moment où la Russie a annoncé jeudi que près de 800 militaires ukrainiens retranchés dans les entrailles du gigantesque complexe sidérurgique Azovstal s’étaient rendus au cours des dernières 24 heures, ce qui porte le total à 1730 depuis lundi.

Moscou a rendu publiques des images montrant des cohortes d’hommes en tenue de combat émergeant, certains avec des béquilles ou des bandages, après une longue bataille qui était devenue un symbole de la résistance ukrainienne à l’invasion russe à Marioupol, ville martyre à 90 % détruite dans le sud-est du pays et où au moins 20 000 personnes ont péri, selon Kyiv.

Ces soldats, parmi lesquels 80 blessés, « se sont constitués prisonniers », a souligné le ministère russe de la Défense.

Kyiv n’a pas parlé de reddition et les responsables ukrainiens refusent de commenter à ce stade. Mais le président Volodymyr Zelensky a évoqué lundi une « évacuation » visant à sauvegarder la vie de ces « héros » ukrainiens grâce à une médiation internationale.

Confirmant implicitement la version d’une solution négociée, comme cela avait été le cas sous l’égide du CICR pour évacuer auparavant des civils de Marioupol, l’ONU a appelé jeudi la Russie et l’Ukraine à reprendre les pourparlers pour « mettre fin à cette guerre ».

« J’aime à croire que le fait que cette coopération a fonctionné relativement bien, en tout cas beaucoup mieux que les semaines précédentes, est quelque chose sur quoi on peut bâtir », a déclaré le responsable de l’ONU pour les situations d’urgence, Martin Griffiths.

Membres pour l’essentiel d’une unité de fusiliers marins de l’armée ukrainienne et du régiment Azov fondé par des nationalistes ukrainiens, les combattants évacués étaient retranchés depuis plusieurs semaines dans le dédale de galeries souterraines creusées à l’époque soviétique sous la gigantesque aciérie, massivement bombardée par les Russes.

Le dirigeant séparatiste prorusse Denis Pouchiline avait précisé mercredi que les commandants ne s’étaient pas encore rendus et affirmé qu’il y avait initialement « plus de 2000 personnes » sur le site.

« Guerre d’indépendance »

Dans une vidéo publiée jeudi, Sviatoslav Palamar, commandant adjoint du régiment Azov, a confirmé être toujours dans l’usine avec le reste du commandement, refusant de dévoiler les détails de l’« opération » en cours.

Leur sort reste en suspens : l’Ukraine veut organiser un échange de prisonniers de guerre, mais la Russie a fait savoir qu’elle considérait au moins une partie d’entre eux non pas comme des soldats, mais comme des combattants « néonazis ».

Malgré cette séquence à valeur essentiellement symbolique pour Moscou, qui avait déjà le contrôle quasi total de la ville, le président Zelensky a déclaré jeudi que son peuple demeurait « fort, indestructible, courageux et libre », dans une vidéo marquant le jour de la Vychyvanka, la fameuse chemise brodée traditionnelle ukrainienne, qu’il portait pour l’occasion.

Dans un discours devant des étudiants, il a parlé d’une « guerre d’indépendance », et estimé que la Russie resterait « probablement toujours une menace ».

« Je vous demande pardon »

Séquence cette fois à haute valeur symbolique pour l’Ukraine, le premier procès d’un militaire russe pour crime de guerre a repris jeudi à Kyiv.

« Je sais que vous ne pourrez pas me pardonner, mais je vous demande pardon », a dit le sergent Vadim Chichimarine, 21 ans et un visage juvénile, à la veuve de l’homme de 62 ans qu’il est accusé d’avoir abattu le 28 février dans le nord-est de l’Ukraine, alors que, sa colonne de blindés ayant été attaquée, il tentait de rejoindre les siens.

La prison à vie a été requise contre le jeune soldat, qui a plaidé coupable.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a encore qualifié mercredi « de fausses nouvelles ou de mises en scène » les accusations pesant sur les troupes russes.

Un autre procès pour crimes de guerre s’est cependant ouvert jeudi dans le nord-est de l’Ukraine : celui de deux militaires russes accusés d’avoir tiré des roquettes sur des infrastructures civiles dans la région de Kharkiv.

Les bombardements russes continuent de faire des victimes. Ils ont fait 12 morts et 40 blessés jeudi à Severodonetsk, dans la région de Louhansk (est), selon le gouverneur local Serguiï Gaïdaï. Il a affirmé que la plupart des tirs avaient touché des immeubles d’habitation, et que le bilan pourrait s’alourdir.

Une équipe de l’AFP sur place a constaté que cette cité industrielle était transformée depuis plusieurs jours en champ de bataille et écrasée sous les tirs d’artillerie.

« Je ne sais pas combien de temps nous pouvons tenir », a dit Nella Kachkina, 65 ans, ancienne employée de la municipalité aujourd’hui à la retraite.

« Fort consensus »

Severodonetsk et Lyssytchansk constituent la dernière poche de résistance ukrainienne dans la région de Louhansk. Les Russes encerclent ces deux localités, séparées par une rivière, et les bombardent sans relâche.

Selon un compte-rendu quotidien des militaires ukrainiens, « l’ennemi a intensifié ses attaques et tentatives d’assaut pour améliorer ses positions tactiques » dans le Donbass, la région de l’est russophone partiellement contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses et dont Moscou, faute d’avoir pu prendre Kyiv et le reste du pays, veut prendre le contrôle total.

Le Pentagone a averti jeudi que malgré les succès des forces ukrainiennes dans le nord, l’armée russe parvenait à renforcer son emprise sur le Donbass et le sud du pays, ce qui signifie que le conflit pourrait durer.

Pour la première fois depuis le début de la guerre, les chefs d’état-major américain et russe, les généraux Mark Milley et Valéri Guerassimov, se sont parlé jeudi au téléphone, a par ailleurs rapporté le département américain de la Défense.

Sur le front diplomatique, le président Biden a reçu a Washington les dirigeants de la Finlande et de la Suède, leur promettant le soutien américain au lendemain de leur demande d’adhésion à l’OTAN.

Alors que la Turquie s’oppose pour l’instant à leur candidature, le chef de la diplomatie américaine s’est dit jeudi « très confiant » de voir le processus se débloquer. « Si des inquiétudes sont soulevées par un membre de l’Alliance, elles recevront une réponse », « il y a aura un fort consensus pour faire entrer ces deux pays », a-t-il assuré à New York.

Soutiens à l’action judiciaire de l’Ukraine

Les responsables de la justice de cinq pays occidentaux, formant l’alliance dite des « Five Eyes », ont annoncé jeudi soutenir l’action judiciaire de l’Ukraine visant à juger les crimes de guerre liés à l’invasion russe.

Les ministres de la Justice ou procureurs généraux des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande ont fait savoir dans un communiqué « soutenir » l’action de la procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova visant à faire rendre des comptes aux responsables de « crimes de guerre commis pendant l’invasion russe ».

L’Ukraine a ouvert des milliers de dossiers de crimes de guerre commis selon Kyiv par les soldats russes depuis le 24 février — et un premier procès s’est ouvert cette semaine.

« Nous soutenons la quête de justice de l’Ukraine et via d’autres enquêtes internationales, notamment la Cour pénale internationale » et d’autres instances, ont-ils déclaré dans leur communiqué commun.

« Nous condamnons ensemble les actions du gouvernement russe et l’appelons à cesser toute violation du droit international, à stopper son invasion illégale et à coopérer » afin de pouvoir rendre des comptes, écrivent-ils.

Leur prise de parole intervient au lendemain du premier jour du procès d’un soldat russe, premier à être jugé en Ukraine pour crime de guerre depuis le début du conflit.

Vadim Chichimarine est accusé d’avoir, le 28 février, abattu Oleksandre Chelipov, un homme de 62 ans, dans le nord-est du pays. Il a reconnu les faits, et l’accusation a requis jeudi la prison à vie.