Après des décennies de neutralité, la Finlande a déposé dimanche sa candidature pour devenir membre de l’OTAN. Qu’est-ce qui a changé ? La Presse en a discuté avec la Dre Iro Särkkä, spécialiste de l’OTAN à l’Université d’Helsinki.

Q. Quelle est la raison de cette demande d’adhésion de la Finlande à l’OTAN ?

R. « La Finlande veut se joindre à l’OTAN parce que cela augmente la sécurité du pays contre n’importe quel type de menaces. Et dans le monde actuel, on ne peut exclure qu’une telle menace provienne de la Russie. La Finlande veut se joindre à l’Alliance entièrement pour des raisons défensives. Elle n’a aucun désir de susciter une escalade avec la Russie et d’autres pays. »

Q. Est-ce imputable à la pression de la population, qui ne se sent pas en sécurité ?

R. « L’attaque de la Russie en Ukraine a provoqué de la peur, en plus de réactiver la mémoire collective de la guerre d’Hiver [30 novembre 1939-13 mars 1940] survenue lors de la Seconde Guerre mondiale et où la Finlande a dû se défendre seule contre une agression de l’Union soviétique [URSS]. Cette mémoire collective s’est passée de génération en génération. Je pense donc que l’attaque russe en Ukraine a fait monter la peur dans la population finlandaise à l’égard de la Russie. »

Q. Quel est le pourcentage de Finlandais qui appuient l’adhésion à l’OTAN ?

R. « La semaine dernière, un sondage indiquait un taux de 76 %. Avant la guerre en Ukraine, ce taux tournait autour de 20 à 30 %. Dans un très court laps de temps [deux mois et demi], les choses ont changé. Il y a eu plus d’explications sur le rôle de l’OTAN et beaucoup de couverture médiatique. »

Q. La Finlande et la Suède, qui souhaite aussi se joindre à l’OTAN, ont-elles subi des pressions américaines ?

R. « C’est une décision très indépendante de la Finlande. Huit jours après le début des hostilités, notre président est allé, de son propre chef, rencontrer le président américain Joe Biden à Washington. Immédiatement, des discussions ont commencé sur la meilleure façon d’aider la Finlande à améliorer sa sécurité. Si on recule dans le temps, la Finlande est un partenaire de l’OTAN depuis 1994 [par l’entremise du Programme de partenariat pour la paix]. »

Q. La Finlande a néanmoins acheté 64 avions F-35 des États-Unis…

R. « Un accord d’approvisionnement a été finalisé en décembre 2021 à la suite d’une compétition ouverte où il y avait plusieurs options disponibles. Et la Finlande a choisi le F-35. »

Q. Serait-ce plus facile si la Suède et la Finlande se joignaient à l’OTAN au même moment ?

R. « Je crois que c’est ce qui va arriver. Les deux pays vont faire leur demande, chacun de leur côté, à la suite de quoi il y aura tout ce processus de ratification par les 30 pays membres. D’après moi, la Finlande et la Suède entreront dans l’OTAN à la même période. »

Q. La Turquie semble réticente à cette adhésion de la Finlande…

R. « J’ai lu différents argumentaires à ce sujet. Je vous rappelle que la Finlande a appuyé la candidature de la Turquie à se joindre à l’Union européenne au début des années 2000. Je ne vois pas de conflit d’intérêts potentiel. »

Q. Qu’arrivera-t-il à la frontière entre la Finlande et la Russie ? Les choses vont-elles changer ?

R. « Surveiller nos frontières, c’est une responsabilité nationale. Il est difficile de répondre à cette question sur ce qui va arriver. J’ai des doutes que les choses changent. Mais nos gardes-frontières sont prêts à toute éventualité. »

Q. Quel est l’état des Forces armées finlandaises ?

R. « Nous avons une conscription générale pour tous. Ou vous faites cela ou vous servez dans le service civil. Autour de 75 % choisissent la conscription. C’est un entraînement complet, obligatoire pour les hommes, optionnel pour les femmes. Vous devez être capable de vous entraîner dans des conditions très dures, comme des températures très basses. La Force régulière compte 280 000 soldats et la Réserve, près de 900 000 citoyens. C’est énorme ! Nous avons une très haute volonté de défendre notre pays. »

Les propos de cette entrevue ont été édités à des fins de concision.