Redoutée dans la guerre cyber, la Russie n’a pas utilisé ses armes numériques aussi efficacement que prévu face à l’Ukraine mais les experts invitent à ne pas baisser la garde.

Mercredi matin, le vice-premier ministre ukrainien Mykhaïlo Fedorov, responsable du numérique, a expliqué que la puissance russe dans le cyberespace s’était révélée bien inférieure aux attentes dans la guerre contre son pays.

« Le mythe de la force de la cyberarmée russe, dont le monde entier avait peur, a été battu en brèche », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à distance, à l’occasion d’une réunion d’experts en cybersécurité à Paris.  

« Il n’y a pas une seule victoire significative des Russes » dans la dimension cyber du conflit, en tout cas en ce qui concerne le « système bancaire », les « infrastructures critiques » ou « les infrastructures d’information », a-t-il dit.

Les Ukrainiens de leur côté se flattent d’avoir réussi quelques coups, comme le plantage au début de la semaine de l’équivalent russe de YouTube, RuTube.

« Nous ne pourrons parler des véritables résultats, des véritables succès […] qu’après la guerre » car « ce serait contre-productif de les dévoiler maintenant », a ajouté M. Fedorov.

Il a aussi mis en avant la capacité de l’Ukraine à utiliser le numérique pour continuer à fonctionner en tant qu’État.

Cette prouesse a été réalisée grâce notamment à son application Diaa, accessible sur smartphone, qui permet à la population de rester en relation avec l’administration, même dans les zones de combat.

Les Ukrainiens peuvent par exemple déclarer « les dommages causés à leur maison » en envoyant des photos pour enclencher la procédure de dédommagement, a-t-il expliqué.

Les responsables gouvernementaux est-européens présents à la conférence parisienne ont toutefois nuancé le discours de Kyiv.

« C’est vrai que, pour l’instant, nous n’avons pas vu quelque chose de très spectaculaire » de la part des Russes, a souligné auprès de l’AFP Dan Cimpean, un haut responsable roumain en charge de la cybersécurité nationale.

« Les outils et les procédures d’attaques étaient déjà vus » mais « c’est peut-être une fausse impression » et les pays occidentaux ont intérêt à « rester très prudents » et à « collaborer étroitement », a-t-il poursuivi.

Recrutement de cyber-mercenaires

« Dans le champ cyber, comme dans le champ réel, les Russes ont probablement choisi la mauvaise stratégie en cherchant à faire trop de choses en même temps », a de son côté déclaré à l’AFP Margiris Abukevicius, vice-ministre lituanien de la Défense.

« En l’état actuel des choses, nous les États voisins de l’Ukraine, n’avons aucune raison de nous sentir plus rassurés en termes de cybersécurité ou de penser que nous aurons moins d’attaques », a-t-il prévenu.

De son côté, Rastislav Janota, haut responsable slovaque de la cybersécurité, a affirmé que la Russie ne lâchait rien, cherchant en particulier en ce moment à recruter des cyber-mercenaires « partout dans le monde ».  

« Il peut se passer des choses invisibles aujourd’hui qui se révéleront seulement demain », a-t-il dit.

Les Russes mènent par ailleurs une guerre informationnelle en dehors de l’Ukraine « pour influencer les opinions publiques », et « ils sont assez bons », a-t-il estimé.

Pour Julien Nocetti, chercheur à l’Ifri (Institut français des relations internationales), le discours très optimiste de M. Fedorov traduit une stratégie constante des autorités ukrainiennes ces dernières semaines.  

Kyiv veut montrer « que la Russie peut être battue sur son propre terrain » du cyber et de la guerre informationnelle, qu’il est possible de dissiper « ce halo autour d’une Russie super puissante dans le cyberespace », a-t-il expliqué à l’AFP.

Les Ukrainiens cherchent à démontrer que, pour les Russes, « faire peur était aussi important que d’avoir des capacités réelles », a-t-il ajouté.