Soixante-quinze mille. C’est le nombre de femmes qui se font avorter légalement chaque année en Ukraine. Depuis le début de la guerre, que font les femmes qui veulent interrompre leur grossesse ? Où vont-elles ?

La plupart des 5,5 millions de réfugiés qui ont fui l’Ukraine dans les derniers mois se sont repliés dans des pays où l’accès à l’avortement est presque totalement interdit, comme en Pologne, ou sévèrement limité, comme en Hongrie et en Roumanie.

En effet, la Pologne a l’une des lois les plus restrictives d’Europe en matière d’avortement. L’intervention n’est légale que lorsque la santé ou la vie de la femme enceinte est en danger, ou lorsque la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste.

Les femmes ukrainiennes, qui ont trouvé refuge dans ce pays voisin et qui souhaitent mettre un terme à leur grossesse, doivent donc fréquemment se tourner vers un organisme d’aide à l’avortement à l’international.

Entre le 1er mars et le 19 avril, l’organisation internationale Avortement sans frontières a reçu 267 appels de personnes venant d’Ukraine et cherchant de l’aide pour se faire avorter, a indiqué à La Presse Mara Clarke, fondatrice et directrice du Réseau de soutien à l’avortement au Royaume-Uni. Son organisme vient en aide aux personnes qui veulent se faire avorter dans une dizaine de pays, notamment la Pologne, l’Irlande, la Roumanie, la Hongrie, la France, l’Espagne, la République tchèque et l’Ukraine.

Une aide risquée

Dès que les réfugiés ont commencé à franchir la frontière vers la Pologne, les organismes d’aide à l’avortement à l’international se sont mobilisés. Ils ont préparé des pilules abortives médicales, un moyen sûr d’interrompre une grossesse jusqu’à 12 semaines, et ont joint des instructions en ukrainien et en russe pour les prendre correctement.

Mais comment envoyer les pilules aux réfugiées fuyant le conflit si elles ne disposent pas d’une adresse ? Il s’agit de l’un des défis auxquels font face les organismes, puisque toute personne ou médecin qui aide des femmes enceintes à se faire avorter illégalement en Pologne risque jusqu’à trois ans de prison.

PHOTO FOURNIE PAR EMMA CAMPBELL

Mara Clarke, fondatrice et directrice du Réseau de soutien l’avortement au Royaume-Uni

« Si j’héberge une réfugiée et que je la laisse utiliser mon adresse pour lui commander des pilules, suis-je pénalement responsable ? Si je la conduis à une clinique ? Si je lui donne de l’argent pour le bus vers une clinique d’avortement ? », dit Mme Clarke. Toutes ses questions demeurent sans réponse et préoccupent les organismes d’aide à l’avortement.

Grâce au travail des intervenants et de leurs partenaires en Pologne, la plupart des 267 Ukrainiennes ont pu avorter en toute sécurité avec des pilules abortives.

« D’autres femmes, dont la grossesse est plus avancée, ont été redirigées vers des cliniques d’avortement aux Pays-Bas et en Angleterre », a indiqué l’organisme international Women Help Women (WHW), voué à rendre l’avortement accessible.

Les femmes restées en Ukraine ne sont pas laissées de côté, assure toutefois l’organisme WHW. « Nous faisons de notre mieux pour aider toutes les Ukrainiennes en situation de grossesse non désirée à quitter l’Ukraine et nous travaillons avec des organisations féministes en Ukraine pour donner accès à la contraception d’urgence et aux pilules d’avortement médicalisées à celles qui sont encore dans le pays », a-t-il indiqué par courriel à La Presse.

Le cas complexe des viols

Le défi est tout aussi grand pour les femmes ukrainiennes tombées enceintes après avoir été violées par des soldats russes. « Nous sommes sûrs qu’il existe un petit pourcentage de femmes fuyant l’Ukraine qui sont enceintes à la suite d’un viol, soit par des soldats russes, soit par des partenaires violents, soit par d’autres hommes qui sont à l’affût de réfugiées vulnérables », affirme Mme Clarke.

Le nombre de victimes demeure toutefois difficile à quantifier.

Nous, nous ne demandons pas à nos interlocutrices comment elles sont tombées enceintes ou pourquoi elles veulent avorter. Pour nous, toute femme qui a besoin d’un avortement et qui demande notre aide recevra notre aide.

Mara Clarke, fondatrice et directrice du Réseau de soutien à l’avortement

Bien que l’avortement soit autorisé en Pologne en cas de viol, il est très difficile d’en obtenir un. « Le processus est incroyablement traumatisant et comprend l’obtention d’un certificat d’un procureur pour prouver qu’il y a eu viol. Cette procédure est incroyablement difficile pour les personnes résidant en Pologne, et encore plus pour les réfugiés », dit la fondatrice du Réseau de soutien à l’avortement.

Les organismes ne manqueront pas de travail au cours des prochaines semaines. Les intervenants craignent de voir le nombre de personnes ayant besoin d’un avortement plus tardif augmenter. « Nous nous attendons à ce que les chiffres montent en flèche à mesure que d’autres personnes franchiront les frontières, s’installeront et découvriront des grossesses », conclut Mme Clarke.