(Kyiv) Ravagée par l’invasion russe, l’Ukraine marque discrètement cette année l’anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie en 1945, mais c’est sa victoire sur Moscou qu’elle espère, tout en faisant un parallèle entre la brutalité des nazis et les troupes russes sur son sol.

Contrairement à la Russie, cette ex-république soviétique, qui estime à plus de huit millions de personnes ses pertes civiles et militaires pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), se concentrait déjà depuis des années sur la commémoration des victimes plutôt que sur la célébration.  

Mais cette année, les Ukrainiens rêvent d’une autre victoire, celle sur Moscou, qui a mis leur pays à feu et à sang depuis son invasion lancée le 24 février.

« Après des décennies de paix, la Russie a fait revenir en Europe l’horreur des massacres de civils », a déclaré le conseiller de l’administration présidentielle ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, dans des commentaires écrits à l’AFP. Mais « l’Ukraine et l’Europe auront une nouvelle date pour une vraie victoire sur l’expansionnisme, le chauvinisme et le nazisme russe ».  

« Ce n’est pas pour demain et il va falloir le payer très cher », a-t-il ajouté alors que face à la résistance ukrainienne, l’armée russe a abandonné le nord du pays, mais des combats acharnés se poursuivent dans l’Est et le Sud.

L’Institut ukrainien de la mémoire nationale a proposé un nouveau slogan pour cette année. « On a vaincu les nazis, on vaincra les Russes », peut-on lire sur cette bannière, sur laquelle on voit aussi des portraits du dictateur nazi Adolf Hitler (1933-1945) et du président russe Vladimir Poutine.

Coquelicot

Si le programme de commémorations n’a pas encore été dévoilé, « aucun rassemblement n’aura lieu » à Kyiv, loi martiale et frappes russes obligent, a prévenu vendredi le maire Vitaly Klitschko.

Hautement symbolique en Russie, la fête du 9 mai est chaque année l’occasion d’un grand défilé militaire à Moscou, sur la place Rouge, un rendez-vous très patriotique de plus en plus instrumentalisé par le pouvoir pour souder la nation en glorifiant l’« exploit du peuple russe ».

La Russie « exploite cyniquement la mémoire et les termes de la Seconde Guerre mondiale », a accusé dimanche le ministère de la Défense ukrainien, Moscou affirmant que son invasion de l’Ukraine vise à « dénazifier » le pays.  

Kyiv avait commencé à se détacher des célébrations de style soviétique il y a une quinzaine d’années quand le terme de « Grande Guerre patriotique », toujours en vigueur à Moscou, a cédé la place à la « Seconde Guerre mondiale » dans les discours officiels et les manuels d’histoire.  

Cette tendance s’est renforcée avec la « désoviétisation » lancée par Kyiv après l’annexion, en 2014, par Moscou de la péninsule ukrainienne de Crimée (sud) suivie d’une guerre dans l’Est contre les séparatistes soutenus par le Kremlin.  

Depuis 2015 les Ukrainiens utilisent le coquelicot comme emblème officiel des commémorations, comme le font certains pays anglo-saxons.  

« Changement clé »

Perçu comme un « symbole de l’agression russe » en Ukraine, le ruban de Saint-Georges orange et noir utilisé par les Russes et les séparatistes est interdit depuis 2017 et passible d’une amende allant jusqu’à 160 euros, voire d’une détention de 15 jours.

Enfin, depuis 2015, les commémorations se déroulent non seulement le 9 mai, comme en ex-URSS et en Russie, mais aussi le 8 mai, baptisé « Jour de la mémoire et de la réconciliation », en rapprochement de la tradition européenne.  

Si le 9 mai restait malgré tout symboliquement important pour 80 % des Ukrainiens jusqu’à récemment, l’invasion russe a entraîné l’effondrement de ce chiffre à 34 %, selon un sondage publié fin avril par l’institut ukrainien Rating, qui a souligné un « changement clé dans la mémoire historique ».  

Plus d’un tiers des Ukrainiens y voient désormais un « vestige du passé » et près d’un quart une journée ordinaire, selon la même source. Certains politiciens appellent même à renoncer à toute célébration le 9 mai.

Pour Volodymyr Kostiouk, 62 ans, fils d’un ancien prisonnier de guerre soviétique interné dans un camp de concentration nazi, ce jour a toujours eu une dimension personnelle disparue aujourd’hui.  

Russes et Ukrainiens « ont combattu ensemble contre les nazis, c’était notre victoire conjointe. Aujourd’hui les Russes nous tuent et nous torturent et cette histoire commune n’existe plus », estime cet employé de banque.  

« Quelle fête est-ce là ? N’avait-on alors gagné que pour qu’ils nous anéantissent maintenant ? », s’insurge cet homme, qui a quitté Kyiv pour l’ouest du pays, fuyant les bombes russes.