Furtif et redoutable, le pilote ukrainien aurait abattu à lui seul une quarantaine d’avions de chasse russes, avant d’être tué en mission en mars dernier… ou pas. Portrait d’un héros tout à fait légendaire.

Aux commandes de son vieux MiG-29, ce mystérieux pilote ukrainien a, à lui seul, abattu une quarantaine d’avions de chasse russes depuis le début du conflit, dont six en une seule journée. C’est ce qu’on dit sur TikTok.

Les images des exploits du « Fantôme de Kyiv » (ou Ghost of Kyiv) ont beaucoup circulé ces derniers temps. L’armée ukrainienne elle-même vantait les victoires de son célèbre as du ciel.

PHOTO FOURNIE PAR L’ARMÉE DE L’AIR UKRAINIENNE, VIA REUTERS

Un bombardier B-52 Stratofortress de l’armée de l’air américaine, escorté par un chasseur MiG-29 de l’armée de l’air ukrainienne (à gauche), volant dans l’espace aérien de l’Ukraine, en septembre 2020

Et voilà qu’on apprend qu’il a été tué, le 13 mars dernier.

En fait, ça dépend de qui on parle. Le major Stepan Tarabalka, pilote de l’armée de l’air ukrainienne, a en effet perdu la vie lors d’une mission le 13 mars. Mais il n’était pas le fameux Fantôme, a précisé l’armée ukrainienne le 30 avril dernier, en réponse à de nombreux articles qui annonçaient avoir percé son mystère. Pas plus qu’un dénommé Vladimir Abdonov, lui aussi identifié au pilote légendaire. Parce que le « Fantôme de Kyiv », comme les autres formes spectrales de son espèce, n’existe pas.

Comment ça, il n’existe pas ? Et ces images d’un combat épique ?

C’est là que ça se complique. L’engouement pour ce fameux pilote a poussé de nombreux médias à tenter de découvrir son identité. En étudiant les indices, ils ont découvert que plusieurs d’entre eux étaient douteux. Comme cette photo publiée par l’ancien président Petro Poroshenko le 25 février (le lendemain du début de l’attaque russe), qui disait qu’elle montrait le « Fantôme de Kyiv » qui « terrifie les ennemis et fait la fierté des Ukrainiens ». Mais il s’agit d’une photo de 2019 publiée par le ministère de la Défense et qui montre un pilote qui teste un nouveau casque.

CAPTURE D’ÉCRAN DE TWITTER

Photo diffusée sur Twitter le 25 février dernier par l’ancien président de l’Ukraine Petro Poroshenko, qui laisse entendre à tort qu’il s’agit du « Fantôme de Kyiv »

Néanmoins, ce même 25 février, le ministère de la Défense alimente la légende en diffusant un clip qui montre – selon le texte qui l’accompagne – un « as ukrainien » à bord d’un MiG-29 qui abat un avion de chasse russe Su-35.

Visionnez le clip sur Twitter

Un as de l’aviation ? C’est un bon pilote ?

Un très, très bon pilote de chasse. Du genre à avoir abattu au moins cinq avions ennemis lors de combats aériens. Le titre est évidemment décerné un peu moins souvent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – le plus grand as de l’aviation canadienne est le pilote William Avery Bishop, avec 72 victoires pendant la Première Guerre mondiale. Le Fantôme de Kyiv aurait été le premier as de l’aviation du XXIsiècle.

Donc, le micromessage du 25 février laisse entendre que le pilote sur l’image est un as de l’aviation. Le gros problème, c’est que ces images ne montrent pas un combat qui s’est déroulé en Ukraine. Il s’agit plutôt d’images… d’un jeu vidéo. L’auteur de ce clip l’a mis en ligne quelques heures auparavant en précisant qu’il s’agissait d’une « simulation » sur un programme appelé Digital Combat Simulator (DCS World).

Donc, tout est faux, et l’armée a fini par le reconnaître ?

En fait, selon la Défense ukrainienne, le Fantôme n’existe pas, mais son idéal, oui. « Le Fantôme de Kyiv est un superhéros légendaire, qui a été créé par les Ukrainiens », a écrit l’armée sur ses comptes Facebook et Instagram le 30 avril. Le personnage est censé représenter tous les pilotes de la 40Brigade d’aviation tactique qui protègent le ciel de la capitale. Ces pilotes qui « apparaissent soudainement là où on ne les attendait pas », écrit le service des relations publiques de l’armée.

CAPTURE D’ÉCRAN D’INSTAGRAM

Publication tirée du compte de l’armée de l’air ukrainienne, qui dit que « le Fantôme de Kyiv est un superhéros légendaire, qui a été créé par les Ukrainiens »

Inventer un personnage de superhéros à des fins de propagande en temps de guerre… Voilà qui est étonnant.

C’est en effet une tactique classique. Certains sont des superhéros bien ancrés dans la fiction – comme le personnage de Captain America, créé en 1940, soldat américain doté de superpouvoirs qui s’attaque aux nazis. Et certains sont de vraies personnes à qui on attribue des exploits extraordinaires.

Le professeur Simon Thibault, spécialiste de la désinformation à l’Université de Montréal, cite notamment la Werwolf, ce groupe de volontaires nazis qui résistait férocement à l’avancée des Alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Ils ont existé pour vrai, mais la propagande nazie, relayée par les médias occidentaux, a amplifié la terreur qu’ils suscitaient, dit-il. Après coup, on s’est rendu compte que leurs opérations n’étaient peut-être pas aussi efficaces qu’on aurait pu le croire. » L’objectif de saper le moral de l’ennemi, par contre, était atteint.

« Il ne faut pas être naïf : dans un conflit, les protagonistes ont recours à la propagande et à la désinformation, soit pour déstabiliser l’ennemi, soit pour remonter le moral de la population », rappelle Simon Thibault. « Les Ukrainiens le font aussi, d’une façon plus transparente que les Russes. »

Avec DW, Libération et The Washington Post

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