Alimentées par la guerre en Ukraine, les conjectures, souvent mêlées d’inquiétudes, vont bon train concernant la parade du 9-Mai en Russie, célébration annuelle du Jour de la Victoire commémorant la capitulation de l’Allemagne nazie en 1945.

Vladimir Poutine va-t-il profiter de l’occasion pour déclarer la guerre (jusqu’à maintenant nommée opération spéciale) à l’Ukraine ? Étendre le conflit et prendre de front l’OTAN ? Appeler à la mobilisation générale ? Proclamer sa victoire, tout arrêter et garder le contrôle des territoires conquis ? Ou bien ne se passera-t-il rien… ?

« Je ne sais pas ce qui va se passer. Il y a toutes sortes d’hypothèses qui vont dans plusieurs directions. Mais cette journée a une signification symbolique importante pour la Russie. Donc, je ne serais pas surprise si une annonce était faite ce jour-là », indique Kristy Ironside, professeure adjointe au département d’histoire et d’études classiques de l’Université McGill et spécialiste de la Russie.

« Dans l’état actuel des choses, où le seul terrain de parité militaire avec les États-Unis est celui de la force de dissuasion nucléaire, je doute qu’il va se passer quelque chose, dit Yann Breault, professeur d’études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean. Bien sûr, le ton du président russe sera dur et mobilisateur. Mais avec toutes les difficultés que l’armée russe vit sur le terrain, veut-on réellement créer une mobilisation générale ? J’en doute. »

PHOTO DMITRI LOVETSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des systèmes de défense antiaérienne et antimissile russes roulent sur la place du Palais, à Saint-Pétersbourg, en prévision du défilé du 9-mai.

Le 9 mai dans l’histoire

Pour les Russes et les Ukrainiens, le 9 mai est la date anniversaire de la capitulation de l’Allemagne. Un premier acte de reddition avait été signé le 7 mai 1945 à Reims. Mais Staline avait exigé une deuxième signature à Berlin, capitale du pays vaincu. Celle-ci eut lieu le 8 mai 1945 à 23 h 01, heure de Berlin, soit 01 h 01 le 9 mai à Moscou.

Professeur titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa, Dominique Arel explique que cette fête a, au fil des ans, éclipsé l’anniversaire de la révolution du 25 octobre 1917 (en fait le 9 novembre, la Russie n’ayant pas encore adopté le calendrier grégorien à l’époque).

Avant la Seconde Guerre mondiale, le régime soviétique se légitimait avec l’anniversaire de la Révolution d’octobre, dit-il. Puis, arrive la Seconde Guerre mondiale qui, du côté soviétique, a pratiquement toujours été présentée comme la victoire contre les fascistes et non contre les Allemands.

« L’État soviétique était présenté comme antifasciste, expose M. Arel. Pourquoi ? Parce qu’il y avait soudainement des Allemands du bon côté, ceux de l’Allemagne de l’Est. Mais ce n’est pas avant les années 1960 que le régime a commencé à se légitimer en fonction de la victoire contre les fascistes plutôt que par la révolution. Une des raisons est que la révolution devait mener à l’instauration du socialisme. Mais l’horizon du socialisme n’arrêtait pas de disparaître. »

PHOTO WIKICOMMONS

Le défilé du 9-Mai sur la place Rouge en 1985

Or, comme la victoire de 1945 datait à peine d’une génération, elle est devenue un élément rassembleur…

Avant les années 1960, c’était juste une journée de congé. Sous Léonid Brejnev [dirigeant de l’URSS de 1966 à 1982], cette fête est devenue un instrument pour unir la société, rendre les gens fiers. On s’est mis à créer des défilés avec tous ces anciens combattants bardés de médailles et recevant des fleurs.

Kristy Ironside, professeure adjointe au département d’histoire et d’études classiques de l’Université McGill

Défilé militaire à Marioupol ?

Le 9-Mai est aussi devenu le moment privilégié pour l’URSS de sortir son imposante quincaillerie militaire : chars, avions, lance-roquettes et même missiles nucléaires.

On le voit encore cette année où les préparatifs en vue du défilé de lundi vont bon train. Le 4 mai, des médias rapportaient des exercices d’avions de chasse et d’hélicoptères, y compris un groupe de huit MIG-29 formant un Z, devenu le symbole de l’invasion.

Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a indiqué que la parade aurait lieu dans 28 villes russes, impliquerait 65 000 personnes et plus de 460 avions. Toutefois, selon l’Associated Press, le nombre de véhicules sera moins important cette année en raison de l’engagement militaire russe en Ukraine.

Pendant ce temps, en Ukraine, les services de renseignement ont laissé entendre que Moscou préparait un défilé de la Victoire à Marioupol, ville pratiquement conquise, à l’exception de la poche de résistants dans l’aciérie Azovstal. Les Russes nettoient les rues, enlèvent les cadavres et ajoutent du décor en vue de cette parade, affirment les Ukrainiens. Le ministre Choïgou n’a pas réagi à cette affirmation.

Le Kremlin a par ailleurs qualifié de « non-sens » la rumeur voulant que le président Poutine profite du 9-Mai pour déclarer la guerre. À cela, des observateurs ont rappelé que Moscou a nié jusqu’au 24 février qu’elle s’apprêtait à entrer en Ukraine.

Avec The New York Times, l’Agence France-Presse et l’Associated Press

En savoir plus
  • Coquelicot
    À la suite de l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014, l’Ukraine a adopté, dès 2015, le coquelicot, comme plusieurs pays anglo-saxons le 11 novembre, pour commémorer la Victoire du 9 mai. Avant, on portait, comme les Russes, le ruban orange et noir de Saint-Georges. L’Ukraine a aussi commémoré l’évènement le 8 mai, comme les pays occidentaux.
    SOURCE : Euronews