Le gouvernement russe, qui s’irrite de l’appui des pays occidentaux au régime du président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, multiplie les mises en garde à leur intention en laissant planer la perspective d’un élargissement du conflit.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a notamment prévenu jeudi que la volonté affichée de ces États de « déverser des armes, y compris des armes lourdes », dans le pays au profit de Kyiv « menace la sécurité du continent et provoque l’instabilité ».

Le président Vladimir Poutine avait souligné la veille que toute tentative d’ingérence en Ukraine suscitant une menace « inacceptable » pour la Russie recevrait une réponse « rapide comme l’éclair ».

PHOTO MIKHAIL KLIMENTYEV, ASSOCIATED PRESS

Vladimir Poutine, président de la Russie, en rencontre virtuelle avec son conseil de sécurité, vendredi, au Kremlin

Il avait précisé que son régime disposait de tous les outils requis pour agir – y compris « des choses dont personne d’autre ne peut se vanter de disposer actuellement » –, sans se montrer plus précis.

La Russie « frustrée »

Justin Massie, spécialiste des questions de défense et de sécurité rattaché à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), note que ces menaces s’inscrivent « dans le récit du Kremlin selon lequel la Russie est attaquée par l’OTAN » et cherche à se défendre par son action en Ukraine.

Ce message est véhiculé depuis le début du conflit, mais s’est intensifié récemment, ce qui témoigne de « la frustration ressentie par la Russie face aux difficultés rencontrées en Ukraine sur le plan militaire », souligne l’analyste, qui voit mal comment Moscou pourrait envisager un affrontement direct avec l’Alliance atlantique.

Sur le plan conventionnel, que ce soit au niveau des forces terrestres ou aériennes, la Russie serait incapable de se mesurer aux pays membres de l’OTAN sans subir des pertes énormes.

Justin Massie, spécialiste des questions de défense et de sécurité rattaché à l’UQAM

Pierre Jolicœur, vice-recteur à la recherche du Collège militaire royal de Saint-Jean, note que l’armée russe semble en avoir déjà « plein les bras » avec l’offensive en cours dans l’est de l’Ukraine pour prendre le Donbass.

« Je ne pense pas que la Russie aurait avantage à élargir le conflit », dit le chercheur, qui cite des estimations selon lesquelles l’armée russe aurait perdu près du quart de sa « capacité militaire engagée » en Ukraine depuis la mi-février.

« Poutine ne veut pas d’affrontement direct avec l’OTAN. Ce serait une catastrophe », insiste M. Jolicœur, qui ne juge guère plus crédible l’idée d’une frappe nucléaire évoquée à quelques reprises par le Kremlin.

Efforts de déstabilisation en Moldavie

La capacité d’escalade de la Russie face aux pays occidentaux ne se limite cependant pas à la force brute, prévient le chercheur, qui évoque l’annonce cette semaine de l’interruption de l’approvisionnement en gaz de la Pologne et de la Bulgarie comme un moyen d’action efficace de faire monter la pression.

L’Union européenne a assuré qu’elle serait en mesure de pallier la baisse dans les deux pays, mais la situation deviendra rapidement ingérable si d’autres États européens plus importants sont visés à leur tour par Moscou, relève M. Jolicœur.

Le Kremlin pourrait aussi chercher à susciter une escalade du conflit par des efforts de déstabilisation dans des pays de la région qui ne sont pas membres de l’OTAN, comme la Moldavie, dirigée depuis quelques années par un gouvernement pro-occidental.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES DE LA RÉPUBLIQUE AUTOPROCLAMÉE DE TRANSNISTRIE

Antennes radio détruites gisant sur le sol à Maïak, dans la région séparatiste moldave de Transnistrie, le 26 avril dernier

Les dirigeants prorusses de la région sécessionniste de Transnistrie, dans l’est du pays, ont affirmé cette semaine que les forces ukrainiennes avaient mené des attaques notamment contre un village où se trouve un important dépôt de munitions russe.

L’Institute for the Study of War estime qu’il pourrait s’agir d’une mise en scène orchestrée par Moscou pour justifier l’envoi de forces supplémentaires susceptibles de renforcer le contingent de 1500 soldats déjà sur place.

Elles pourraient notamment servir par la suite dans une offensive contre la ville portuaire ukrainienne d’Odessa, située non loin à l’est, ou à tout le moins constituer une menace susceptible de peser sur les décisions stratégiques de l’armée ukrainienne, note l’organisation.

Le Royal United Services Institute for Defense and Security Studies, institut de recherche britannique spécialisé dans les questions de défense et de sécurité, note que Moscou pourrait vouloir faire comprendre aux pays occidentaux que leur soutien à l’Ukraine risque d’avoir « des conséquences à plus grande échelle » pour la région.

Si elle est avérée, la tentative de déstabilisation de la Moldavie pourrait aussi témoigner, selon Pierre Jolicœur, du fait que le gouvernement russe n’a pas renoncé à élargir sa zone d’influence malgré les difficultés rencontrées en Ukraine et veut agir avant que le pays ne bascule définitivement dans le camp de l’OTAN.