(Cusago) « Si je dois mourir, je meurs. Mais j’aurai eu une vie heureuse, j’ai eu la chance de visiter Disneyland à Paris, puis Berlin et la Sicile » : sous les bombes à Kharkiv dans l’est de l’Ukraine, Vika, 16 ans, se remémorait les voyages passés avec sa famille d’accueil italienne.

Quand les sirènes d’alerte antiaérienne retentissaient, elle se réfugiait dans le souterrain d’une école, où elle s’emmitouflait dans un sac de couchage, cherchant en vain à dormir. Pour tuer le temps, elle initiait ses compagnons d’infortune au Burraco, un jeu de cartes italien.

Le cauchemar a pris fin dans la nuit du 7 mars, à 2 h du matin, quand elle a regagné sa chambre remplie de peluches dans la maison de sa famille italienne à Cusago près de Milan, au bout d’un long et éprouvant voyage en train et bus, grâce à l’association « I Bambini dell’Est » (Les Enfants de l’Est).  

Créée en 2010 pour aider les « enfants de Tchernobyl » qui venaient en Italie et ailleurs en Europe pour respirer de l’air pur, l’association a étendu ses programmes d’accueil aux jeunes issus d’orphelinats comme Vika.  

Dès le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les combats furent intenses à Kharkiv. « On entendait des tirs et des bruits de missiles et on voyait des colonnes de fumée noire. Plein d’immeubles ont été détruits, comme notre cinéma, avec toutes les fenêtres brisées », raconte Vika, encore sous le choc.

S’échapper de l’orphelinat

Viktoria Shakshyna venait deux fois par an à Cusago, trois mois en été et un mois en hiver, dès l’âge de neuf ans. Des séjours qui lui permettaient de s’échapper de l’orphelinat à Kharkiv, où étaient placés des enfants retirés à leurs parents pour des problèmes de délinquance, alcool ou précarité.

Visage rond, large sourire, Vika ne voit pas son avenir en Ukraine : « ma maison est ici, je veux terminer l’école et aller à l’université », dit-elle dans un italien quasi parfait, en fixant de ses yeux bleus sa mère d’accueil, Michela Slomp, une graphiste de 47 ans.

Photo MIGUEL MEDINA, Agence France-Presse

Viktoria (Vika) Shakshyna (au centre) avec sa famille adoptive Michela Slomp (en haut), Anita (à gauche) et Martina (à droite).

Vika n’était pas née en 1986 quand l’un des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé, rejetant dans l’air des millions de radioéléments, équivalents à l’intensité d’au moins 200 bombes d’Hiroshima.

« Nos enfants n’ont pas été directement touchés par la catastrophe, mais il est certain que dans les sols, dans les légumes, il y a toujours des radiations » en Ukraine, explique Federica Bezziccheri, présidente de « I Bambini dell’Est ».

Depuis que la guerre a éclaté, son téléphone sonne jour et nuit. À l’autre bout, des familles italiennes qui tentent de joindre désespérément leurs enfants d’accueil, ou alors de jeunes ukrainiens qui cherchent à s’échapper.

« Nous vivons la guerre en direct. Quand nous appelons les enfants en message vidéo, on entend le bruit des bombardements. Et à la télévision, je reconnais des endroits détruits où nous avons séjourné à Kharkiv », dit-elle, penchée sur son ordinateur dans son appartement à Milan.

 Creuser des tranchées

« Les filles racontent qu’il suffit de marcher une centaine de mètres dans la rue pour tomber sur des morts. Et les garçons se sont engagés comme volontaires, ils remplissent des sacs de sable ou creusent des tranchées », détaille-t-elle.

« Certains jeunes disent qu’il vaut mieux risquer d’être blessé ou tué en aidant son pays que de mourir comme des rats dans une cage au sous-sol d’un bâtiment ». Pour l’heure, l’association a réussi à acheminer 280 réfugiés en Italie.

La famille italienne de Yana Alieva, 20 ans, l’a fait revenir dès janvier de Kharkiv, avant même le début de l’invasion, dans son appartement à Milan, où un drapeau bleu et jaune de l’Ukraine est suspendu au balcon. « On sentait venir la guerre », dit sa mère d’accueil, Carla Marini, une ingénieure de 56 ans.

« J’ai le cœur brisé, mon monde a disparu, mon petit copain et mes amis ont vécu dans des caves sous les bombes avant de se déplacer dans des zones plus sûres, j’ai peur pour ceux qui sont restés », raconte Yana, qui a été élevée, elle aussi, dans un orphelinat.

Cheveux noirs, traits fins, la jeune Ukrainienne ne cache pas sa colère : avant la guerre, « on était tous unis, Russes et Ukrainiens, comme un seul peuple ». Mais maintenant, « ils nous traitent de “nazis” et on voit qui ils sont vraiment ».

Étudiante en lettres, elle est désormais inscrite à l’université Cattolica à Milan. Mais elle compte retourner en Ukraine quand la guerre sera finie et « participer à la reconstruction » de sa ville, pour « la rendre encore plus belle ».