Devant l’impossibilité de conquérir l’ensemble de l’Ukraine, Vladimir Poutine tente désormais de prendre le contrôle militaire de l’est et du sud du pays. Si cet objectif est plus modeste, son succès est loin d’être assuré, estime Michael Horowitz, analyste travaillant pour Le Beck, une entreprise de conseils en sécurité et en géopolitique établie au Moyen-Orient. La Presse lui a parlé.

Q. La Russie est maintenant dans la « nouvelle phase » de sa guerre, concentrée dans l’est et le sud de l’Ukraine. Est-ce que cet objectif moins ambitieux veut dire qu’elle aura plus de succès que lors de la première phase, qui n’a pas très bien fonctionné ?

R. Un objectif plus modeste ne veut pas forcément dire des chances plus fortes de succès. On le voit déjà, une semaine après le début de cette « nouvelle phase » des opérations russes, il n’y a pas beaucoup de changements en termes de tactiques : les Russes continuent de buter tout particulièrement sur les moyennes et grandes villes malgré l’utilisation non discriminée de frappes terrestres et aériennes. Ils continuent aussi de compter sur des unités lourdes et blindées qui manquent d’agilité, dans une guerre qui en demande.

PHOTO FOURNIE PAR MICHAEL HOROWITZ

Michael Horowitz, analyste travaillant pour Le Beck, entreprise de conseils en sécurité et en géopolitique basée au Moyen-Orient

Aussi, il n’y a pas eu de réelle réflexion de la part du Kremlin sur les erreurs passées commises dans son invasion, et pour cause : la phase précédente date d’il y a deux semaines à peine ! Il faut bien plus de temps pour se regrouper et changer de stratégie.

Les pays occidentaux semblent avoir décidé d’armer plus fortement l’Ukraine. Croyez-vous que cela aura un réel impact sur le terrain ?

L’aide occidentale peut avoir un fort impact sur le terrain. Par exemple, les Ukrainiens ont maintenant besoin d’artillerie lourde et précise, car en réalité, la guerre se joue bien plus à distance qu’on ne le croit. On notera sur le sujet la décision importante du Canada d’envoyer des obusiers M777, et celle de la France d’envoyer des pièces d’artillerie CAESAR. Couplée à des drones commerciaux, l’artillerie peut être dévastatrice contre les colonnes de blindés russes. Il faut ajouter à cela les missiles guidés antichars, déjà produits par l’Ukraine, les missiles antiaériens et les missiles antinavires. Ces systèmes relativement légers jouent un rôle important pour rétablir l’équilibre entre le géant russe et son voisin ukrainien, comme cela a été le cas avec l’attaque contre le croiseur Moskva. Si les Ukrainiens décident de passer à l’offensive, ils auront aussi besoin de blindés, et potentiellement d’avions – ce à quoi l’Occident se prépare déjà.

Donc les semaines qui viennent ne seront pas nécessairement plus simples pour Moscou…

Tout à fait. Il faut se rendre compte que si les objectifs russes étaient extravagants en février, avec la volonté de prendre Kyiv en quelques jours et de conclure l’opération en deux semaines, selon certains documents retrouvés sur les soldats russes, les nouveaux objectifs n’en sont pas moins difficiles à atteindre.

N’oublions pas que la zone du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, est en conflit depuis huit ans, soit depuis 2014, et que la région n’est pas encore totalement contrôlée par la Russie. Pourquoi ? L’une des raisons est que les unités ukrainiennes qui défendent le Donbass ont eu le temps de bâtir un réseau défensif important durant toutes ces années.

Le problème auquel Moscou est confronté est que même cette opération prétendument plus limitée s’accompagne de difficultés importantes. En d’autres termes, la capture du Donbass est loin d’être la « victoire facile » que recherche Moscou. La Russie choisit de voir plus petit, mais elle voit toujours très, voire trop, grand.

La Russie a menti pour lancer la guerre ; se peut-il qu’elle mente pour en sortir ? Par exemple, faire une grande fête le 9 mai, la journée historique de la victoire contre les nazis, et dire qu’elle a atteint ses « objectifs » ?

La Russie a une longue histoire de ce côté, et l’utilisation du mensonge n’est certainement pas à exclure. Qu’il le veuille ou non, Poutine devra justifier les lourdes pertes en hommes, qui vont devenir de plus en plus difficiles à cacher, et je n’exclus pas qu’il mente et embellisse les choses. La question sera de savoir si les Russes vont le croire, ou si la vérité commencera à filtrer au travers du rideau de fer informationnel russe.

En savoir plus
  • 3,7 milliards US
    C’est la valeur totale de l’aide militaire accordée par les États-Unis à l’Ukraine depuis le début de l’invasion à grande échelle, fin février.
    Source : gouvernement américain
    3000
    C’est le nombre d’unités d’équipement lourd perdues par la Russie dans le conflit, incluant 500 chars d’assaut, 300 véhicules de combat blindés, 20 avions de chasse et 30 hélicoptères. Au total, la Russie aurait perdu le quart des forces de combat envoyées pour envahir l’Ukraine.
    Source : The Wall Street Journal