(Rome) Des milliers de fidèles ont assisté vendredi soir au Chemin de Croix présidé par le pape au Colisée de Rome, pour la première fois depuis 2019, une cérémonie rattrapée par la guerre en Ukraine.

« Je vis à Rome depuis plus de 30 ans mais aujourd’hui, il m’a semblé très important de venir », confie à Stefania Cutolo, enseignante italienne de 52 ans, tandis que le chœur pontifical répète les chants.

« Le message de ce soir, après deux ans de fermeture due à la pandémie, est doublement important. Dans ce contexte où reviennent les nationalismes en Europe, nous devons agir », ajoute-t-elle.

Peu après 21 h, devant 10 000 fidèles, le souverain pontife a ouvert ce temps fort de la Semaine sainte qui fait revivre le calvaire du Christ, de sa condamnation à mort à sa crucifixion, sa mort et sa mise au tombeau, selon la tradition chrétienne.

Organisée depuis 1964 dans l’amphithéâtre romain somptueusement illuminé, la « Via Crucis » s’était tenue sur la place Saint-Pierre au Vatican en 2020 et 2021, avec une affluence très réduite, en raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19.

« On rencontre le monde entier ici, on entend toutes les langues. C’est merveilleux », s’enthousiasme Marie-Agnès Bethouart, 71 ans, arrivée dès 17 h avec son mari et ses deux petits-fils, qui salue l’initiative du pape sur l’Ukraine.

Dans la foule, un drapeau jaune et bleu se détache au milieu des bougies. Parmi les familles s’étant vu confier le port du crucifix à chacune de 14 stations figurent deux femmes, russe et ukrainienne, amies dans la vie.

Mais cette, pensée comme un geste de réconciliation face à la guerre qui ravage le pays depuis le 24 février, a suscité l’ire de responsables ukrainiens selon lesquels le Vatican renvoie dos à dos agresseur et agressé.

« Plus d’empathie »

Dès mardi, le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, Monseigneur Sviatoslav Shevchuk, a dénoncé une « idée inopportune, prématurée et ambiguë, qui ne tient pas en compte le contexte d’agression militaire de la Russie ». De son côté, l’ambassadeur ukrainien près le Saint-Siège a dit « partager la préoccupation générale ».

Et les médias ukrainiens ont boycotté la retransmission de la cérémonie, alors que le Vatican avait ajouté des commentaires en ukrainien et en russe pour la diffusion en mondovision.

Dans la foule, Anastasia Goncharova, touriste ukrainienne de 18 ans, se dit « sans voix » en voyant les deux pays mis sur le même plan.

« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Nos nations ne sont plus sœurs. (Les Russes) tuent et violent nos enfants, volent nos maisons. Ça me dégoûte. Cette guerre doit s’arrêter », lâche l’étudiante, les larmes aux yeux.

Finalement, les deux femmes ont bien porté le crucifix ensemble. Un sobre message appelant à « prier pour la paix dans le monde » a été suivi d’un silence recueilli, remplaçant le texte initialement prévu qui devait aborder la guerre en Ukraine.  

Mais quelle que soit sa forme, la plupart des fidèles saluent l’initiative. « C’est à la fois la croix, donc la douleur de ces deux peuples, mais aussi l’espoir, car nous croyons qu’après la guerre il y aura la paix. C’est très beau », estime Mme Bethouart.

« C’est un message exceptionnel, un symbole de paix et de courage. Il faut que tous nous ayons plus d’empathie en regardant les autres. Ce qui à tendance à se perdre dans les nouvelles générations. », renchérit Mme Cutolo.

Avant de repartir, le pape, qui a fustigé à plusieurs reprises le conflit sans jamais citer le nom de Vladimir Poutine, a prié pour que les « adversaires se serrent la main » et « goûtent au pardon mutuel ». « Désarme la main levée du frère contre le frère », a-t-il lancé.