Au début de la guerre, une offensive ukrainienne a freiné l’avancée des chars russes au nord de Kiyv. Une équipe d’un organisme civil se targue d’avoir joué un « rôle significatif » pour repérer et détruire la chaîne de réapprovisionnement russe grâce à ses petits drones munis de caméras et de bombes.

« Nous avons contribué à briser leur plan pour Kiyv », explique à La Presse Mykhailo, joint dans les environs de la capitale par téléphonie web.

L’homme, qui refuse de révéler son nom de famille pour des raisons de sécurité, se confie à titre de porte-parole d’Aerorozvidka, un groupe de quelques douzaines de spécialistes des drones. L’ancienne unité militaire, créée en 2014, est aujourd’hui un organisme non gouvernemental, qui agit en appui à l’armée.

Rôle important

Les drones, petits ou moyens, jouent un rôle important dans la stratégie ukrainienne depuis le début de la guerre, tant pour recueillir des informations que pour le combat.

De simples citoyens ont mis leurs engins volants à la disposition de l’effort de guerre. Aerorozvidka a aussi son propre modèle, le R-18. Avec ses huit hélices, le drone peut être tenu par une personne. Il peut voler pendant 40 minutes, dans un rayon de 4 km, et transporter des charges explosives de 5 kg, affirme Mykhailo.

Une performance bien loin des drones militaires des grandes puissances, mais qui reste abordable, à environ 20 000 $ US par engin. L’argent est recueilli grâce à du sociofinancement.

PHOTO FOURNIE PAR AEROROZVIDKA

Aerorozvidka utilise notamment le drone R-18. L’authenticité de cette photo n’a toutefois pas pu être vérifiée par La Presse.

En 2014, lorsque la Russie avait lancé son offensive dans l’est du pays et en Crimée, elle avait alors utilisé ses drones « de façon très efficace », note Vikram Mittal, professeur agrégé à l’académie militaire américaine West Point.

« Les Russes ont utilisé des drones de reconnaissance avec beaucoup de succès en 2014, en repérant un endroit avant de le bombarder lourdement », explique-t-il.

Cette fois, les Ukrainiens semblent s’être adaptés à de nouvelles méthodes. « Les Russes ne sont pas aussi efficaces que dans le passé, on dirait qu’ils n’ont pas été mis à jour, qu’ils utilisent les mêmes tactiques qu’en 2014 et une technologie similaire, alors que le secteur a continué à avancer », estime-t-il.

Ode au Bayraktar

Outre les drones commerciaux, l’Ukraine compte aussi sur des appareils de combat, comme le Bayraktar TB2.

« Il transforme les bandits russes en fantômes », vante une chanson écrite il y a quelques semaines en hommage à ce drone turc utilisé par l’armée ukrainienne.

L’Ukraine posséderait quelques dizaines de Bayraktar TB2, selon le site spécialisé Oryx. L’engin de 12 m ressemble à un petit avion. Son utilisation par l’Azerbaïdjan avait été décriée par les Arméniens lors de la guerre au Haut-Karabakh, en 2020.

PHOTO BIROL BEBEK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un appareil Bayraktar TB2 survolant une base militaire de Chypre, en 2019

Ce drone continue de démontrer comment un tel appareil, sans être le plus puissant, peut créer un revirement de situation dans un conflit, illustre Paul Lushenko, lieutenant-colonel dans l’armée américaine et spécialiste des drones.

« Nous voyons de plus en plus d’États – l’Éthiopie, la Libye, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et maintenant, l’Ukraine – qui adoptent ces petits ou moyens drones », dit-il.

Moins coûteux, plus accessibles, ils démocratisent, en quelque sorte, des stratégies militaires autrefois réservées aux grandes puissances.

L’utilisation des drones, pour la surveillance comme pour le combat, « a permis à l’Ukraine d’obtenir une parité avec la Russie », ajoute le militaire.

Jeu du chat et de la souris

Il existe des moyens pour neutraliser les drones, en bloquant les communications ou en les détruisant carrément, par exemple. Mais les contre-moyens peuvent aussi être contournés par d’autres tactiques.

« C’est un jeu du chat et de la souris », illustre Vikram Mittal, soulignant la grande vitesse d’adaptation du secteur.

Il y a beaucoup de désinformation en temps de guerre, et il reste difficile de savoir ce qui se passe réellement sur le terrain, avertit-il, même si des sites spécialisés font des contre-vérifications sérieuses.

La Russie a peut-être été déstabilisée par les tactiques utilisées par les forces ukrainiennes. Mais elle n’est peut-être pas la seule à sous-estimer les moyens accessibles comme les drones, croit M. Lushenko.

Les plus petits drones [en opposition aux drones militaires] ont été identifiés comme la menace numéro un par les États-Unis, au moins pour les forces déployées au Moyen-Orient.

Paul Lushenko, lieutenant-colonel dans l’armée américaine et spécialiste des drones

« Les drones donnent un avantage asymétrique à de plus petites armées, des forces irrégulières ou non étatiques – comme Al-Qaïda ou le groupe État islamique –, et la technologie surpasse rapidement les contre-mesures, donc ça crée un écart de vulnérabilité pour les grandes armées », explique le lieutenant-colonel.

Un changement dans l’ordre global sur lequel il faudra se pencher, lance-t-il.

Mykhailo, de son côté, continue, avec son équipe, d’appuyer l’armée avec ses drones.

« Chaque jour, nous avons des difficultés avec notre mission, nous devons réparer, acheter des pièces, trouver des drones commerciaux pour des opérations de reconnaissance », souligne-t-il.

Il trouve important de le faire.

« On essaie d’aider notre pays. »

En savoir plus
  • 100
    Les États-Unis fourniront 100 drones tueurs Switchblade à l’Ukraine.
    THE New York Times