Le président des États-Unis, Joe Biden, a passé outre aux règles de la bienséance diplomatique samedi dernier en déclarant lors d’une visite officielle en Pologne que Vladimir Poutine est un « boucher » qui ne « peut pas rester au pouvoir ».

Son administration a rapidement cherché à minimiser l’intervention en affirmant que les États-Unis ne cherchent pas à précipiter la chute du dirigeant russe.

Qu’ils soient réfléchis ou non, les appels au renversement du maître du Kremlin ont peu de chances de se concrétiser dans un avenir rapproché puisque Vladimir Poutine a mis en place depuis longtemps des mesures visant à empêcher un tel scénario, souligne Adam E. Casey, chercheur à l’Université du Michigan qui étudie la stabilité des régimes autoritaires.

En théorie, dit-il, nombre de facteurs susceptibles de favoriser un coup d’État existent dans le contexte actuel en Russie.

Les difficultés rencontrées par l’armée, qui a enregistré des pertes matérielles et humaines beaucoup plus importantes que prévu depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, y compris la mort de plusieurs généraux, ainsi que le mauvais calcul de Vladimir Poutine face au niveau de résistance qu’offrirait la population, sont de nature à alimenter les griefs d’officiers de haut rang à son égard.

Les problèmes de logistique – en partie imputables, selon M. Casey, à l’attribution corrompue de contrats à des amis du régime – sont aussi de nature à alimenter la grogne.

L’armée espionnée

Tout complot au sein de l’armée visant à forcer le départ du chef d’État risquerait cependant d’être rapidement mis au jour en raison de l’existence au sein du Service fédéral de sécurité (FSB), principal service de renseignements du pays, d’un service de contre-espionnage surveillant les forces armées.

« Des agents sont établis au sein même de l’armée pour garantir la fiabilité politique de ses dirigeants », relève M. Casey.

Vladimir Poutine a par ailleurs mis en place en 2016 une Garde nationale qui est chargée d’assurer les besoins de répression interne du régime et qui pourrait intervenir si des soldats tentaient de se mutiner.

Ils seraient probablement appuyés dans une telle situation par des membres du Service fédéral de protection (FSO), qui assure la garde rapprochée du dirigeant russe.

« La Garde nationale et le FSO comptent probablement plus de membres au total dans la région de Moscou que l’armée », dit M. Casey.

Une armée loin de la politique interne

Eugene Rumer, spécialiste de la Russie rattaché à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, note que l’armée russe « n’intervient pas traditionnellement dans les questions de politique interne », contrairement à ce que l’on peut voir, par exemple, dans des pays comme la Birmanie ou le Brésil.

L’hypothèse d’une tentative de prise de pouvoir par les dirigeants du FSB ou du FSO paraît tout aussi improbable, selon lui.

« Ce sont des gens que Poutine a promus, qu’il a couverts de bénéfices en tout genre. C’est leur homme. Ils n’ont aucune raison d’agir contre lui », souligne M. Rumer.

Des services de renseignements divisés

M. Casey note que Vladimir Poutine a pris soin de diviser les services de renseignements en plusieurs organisations qui se recoupent dans leurs fonctions et qui se « surveillent mutuellement », ce qui compliquerait toute tentative éventuelle de le renverser.

Cette surveillance étendue est aussi de nature à freiner les ardeurs d’oligarques et de membres haut placés du régime qui ont beaucoup à perdre en cas d’échec. « S’ils échouent, ce qui les attend, c’est la prison, l’exil ou la mort », résume M. Casey.

« Je ne pense pas qu’ils aient de leviers pour agir. Les oligarques qui demeurent en Russie dépendent de Poutine. S’ils peuvent continuer d’extraire des ressources, c’est parce qu’il le leur permet. Les autres qui sont à l’étranger sont trop loin pour agir », commente M. Rumer.

L’hypothèse du soulèvement populaire

À défaut de venir de l’armée, des forces de sécurité ou de l’élite économique ou politique, la chute de Vladimir Poutine pourrait-elle passer par des mouvements de rue ?

Dans les semaines ayant suivi le début de l’invasion en Ukraine, des milliers de Russes ont bravé les autorités pour dénoncer la guerre. De nombreuses arrestations ont suivi. Les forces de sécurité demeurent sur le qui-vive face à d’éventuelles manifestations, même mineures, alors que l’étau se resserre sur les médias pour empêcher tout contre-discours opposé à celui du Kremlin.

Selon Adam E. Casey, le régime russe veut maintenir le calme dans le pays en utilisant un niveau de coercition relativement « modéré » et éviter d’avoir à passer à une approche plus musclée comportant des risques importants de dérapage.

En 2014, le président ukrainien prorusse Viktor Ianoukovitch avait ordonné qu’on ouvre le feu sur les manifestants qui réclamaient son départ, faisant des dizaines de victimes. Le drame avait galvanisé le public et intensifié le mouvement de contestation, amenant plusieurs hauts responsables des forces de sécurité à démissionner jusqu’à ce que le dirigeant se retrouve isolé, sans moyen de répression.

Un scénario de ce type est possible en Russie, mais rien n’indique qu’il soit sur le point de se matérialiser, dit M. Casey.

« Il est difficile de se débarrasser de régimes autocratiques, même lorsqu’ils deviennent profondément impopulaires. C’est dans leur nature », conclut le chercheur.