(Calais) Dans une ville pourtant connue pour ses tensions entre les autorités et les migrants, les réfugiés ukrainiens ont été accueillis à bras ouverts par la mairie. Des associations d’aide dénoncent les « deux poids, deux mesures ».

11 h 30. Port de Calais. Karina Romanenko et sa mère attendent la navette qui les conduira au centre de visas d’Arras, une ville située à 100 km au sud de Calais, pour le prélèvement de leurs données biométriques. La dernière étape avant d’obtenir leurs visas pour le Royaume-Uni. « C’est incroyable. On nous fournit un bus qui va nous conduire dans une autre ville, et c’est gratuit », s’étonne l’adolescente de 16 ans.

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Karina Romanenko, exilée ukrainienne qui attend son visa pour le Royaume-Uni

Le duo mère-fille vivait dans le sud-est de l’Ukraine, dans la ville de Zaporijjia, dont la centrale nucléaire a été frappée par des tirs d’artillerie russes au début du conflit. Elles séjournent à Calais depuis quatre jours, dans une maison tenue par des bénévoles. Tout leur est fourni : la nourriture, l’hébergement, le transport. « On est tellement reconnaissantes, fait savoir Karina. Attendre pour le visa, c’est le seul problème. »

À quelques kilomètres de là, entre le parc industriel et l’autoroute, se dresse le « camp des Érythréens », comme on l’appelle à Calais. Une centaine de jeunes hommes y vivent dans des tentes de fortune, espérant eux aussi rejoindre le Royaume-Uni. Yafet Werede, 17 ans, s’y trouve depuis une semaine. Malgré les 14 degrés et le soleil qui plombe, il enfile son manteau d’hiver. « C’est difficile… Il fait froid, ça caille », dit-il dans un français approximatif, alors qu’on aperçoit derrière lui le reste d’un feu de camp et un amas de bois de chauffage, principalement fourni par des associations.

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À Calais, les tentes sont omniprésentes. Sous les ponts, sur le bord de l’autoroute, dans les champs.

« Pourquoi prodigue-t-on tous les besoins essentiels aux Ukrainiens, alors qu’on vient démanteler tous les jours les camps des [autres] migrants ? », s’interroge un des bénévoles de l’association La Vie Active, Valere Canis, qui vient quotidiennement distribuer des repas aux réfugiés du camp de Yafet. Selon lui, les autorités ont « deux poids, deux mesures » lorsqu’il est question de la gestion des migrants.

Protection temporaire

Située à 50 km des côtes britanniques, la ville de Calais est un endroit stratégique pour les migrants désirant rejoindre le Royaume-Uni. En 2016, le démantèlement de la « jungle de Calais », un vaste camp de migrants, avait attiré l’attention de la communauté internationale sur les tensions entre les migrants et les autorités.

Les réfugiés ukrainiens, arrivés dès le début de mars, ont quant à eux été accueillis à bras ouverts par la mairie. Les premiers, une famille de neuf adultes, ont été reçus par la mairesse, Natacha Bouchart. Celle-ci a également réservé temporairement une auberge de jeunesse pour loger gratuitement plus d’une centaine de réfugiés ukrainiens.

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Auberge de jeunesse où sont hébergés des réfugiés ukrainiens, à Calais

Cette « empathie à deux vitesses » agace William Feuillard, coordonnateur de l’association l’Auberge des migrants. L’association envisage même de porter plainte contre la mairie de Calais et le gouvernement français pour discrimination.

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William Feuillard, coordonnateur de l’association l’Auberge des migrants, à Calais

Pour les exilés ukrainiens, un accueil digne est accordé. Pour les autres, on les fait littéralement vivre dans la boue.

William Feuillard, coordonnateur de l’association l’Auberge des migrants

La mairesse de Calais, qui n’a pas voulu accorder d’entrevue à La Presse, a défendu ses actions dans plusieurs médias. « La grosse différence, c’est que les Ukrainiens sont en situation régulière », a-t-elle répliqué, pointant le fait que l’Union européenne avait accordé une « protection temporaire » aux Ukrainiens fuyant la guerre.

Comme le résume Tania Racho, juge assesseure à la Cour nationale du droit d’asile, la « protection temporaire » votée le 4 mars par le Conseil de l’Union européenne assure un hébergement, une scolarisation, des soins de santé et un accès au marché du travail aux réfugiés ukrainiens, et cela, aux frais de l’État. Si les Ukrainiens ont obtenu la protection temporaire, « les autres migrants présents à Calais dans le but de rejoindre le Royaume-Uni n’ont pas demandé l’asile, explique la docteure en droit européen. Ils n’ont donc pas de statut régulier en France ».

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Vue aérienne d’un camp de migrants, à Calais, dans le nord de la France.

34 500 demandes de visa au Royaume-Uni

À l’opposé des pays de l’Union européenne, le Royaume-Uni n’applique pas la protection temporaire et exige un visa des Ukrainiens désirant entrer sur son territoire. Critiqué au début de la crise pour sa lenteur et le faible nombre de visas accordés, le gouvernement britannique a depuis simplifié sa procédure d’entrée. En date du 26 mars, le Royaume-Uni avait délivré 18 600 visas selon sa procédure de regroupement familial, pour 34 500 demandes.

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Dans l’auberge de jeunesse de Calais, des affiches informatives attendent les réfugiés ukrainiens

Après l’obtention de leurs visas, Karina Romanenko et sa mère ne tarderont pas à rejoindre le Royaume-Uni et à trouver un emploi en attendant de pouvoir retourner en Ukraine. « Nous ne voulons pas seulement vivre avec l’argent que nous donne l’État. Nous voulons travailler », affirme la plus jeune, qui aimerait être embauchée comme barista.

Yafet Werede traversera aussi la Manche, assure-t-il. La semaine prochaine, peut-être. Faute de visa, ce sera à bord d’une petite embarcation illégale qui pourrait lui coûter la vie. Mais une chose est sûre, il ne retournera pas en Érythrée.