Une possible désescalade en Ukraine laisse les États-Unis et des experts sceptiques, malgré des pourparlers jugés « significatifs » mardi par le Kremlin. La Russie dit en effet vouloir réduire « radicalement » son activité militaire, notamment dans la capitale. Mais peut-on y croire ?

« Il a été décidé, pour accroître la confiance, de réduire radicalement l’activité militaire en direction de Kyiv et Tchernihiv. » Ce sont les mots du vice-ministre russe de la Défense, Alexandre Fomine, pour qui les négociations sur un accord de neutralité de l’Ukraine entrent « dans une dimension pratique ».

Vladimir Medinski, chef de la délégation russe, a assuré que les propositions ukrainiennes allaient être « étudiées très prochainement et soumises » à Vladimir Poutine. « À condition d’un travail rapide sur l’accord, et de trouver les compromis nécessaires, la possibilité de conclure la paix se rapprochera », a ajouté M. Medinski, affirmant aussi qu’une rencontre entre Poutine et le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, « sera possible lorsqu’il y aura un accord ».

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Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a ouvert les pourparlers ukraino-russes à Istanbul, mardi.

L’Ukraine, elle, n’acceptera un accord qu’à condition d’obtenir un « accord international » pour garantir sa sécurité, dont seraient garants plusieurs pays comme les États-Unis, le Canada, la Chine, la France et le Royaume-Uni, mais aussi possiblement la Turquie, l’Allemagne, la Pologne et Israël. Le négociateur en chef, David Arakhamia, a jugé que les conditions étaient « suffisantes » pour une rencontre au sommet. Le président Zelensky a toutefois prévenu que la levée des sanctions contre la Russie « ne peut être envisagée qu’une fois la guerre terminée ». Parlant de signaux « positifs », il a toutefois rappelé que « la situation n’est pas devenue plus facile, l’ampleur des défis n’a pas diminué, et que l’armée russe a toujours un potentiel important pour poursuivre les attaques ».

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Des membres de la délégation ukrainienne s’entretiennent avec les médias après leur rencontre avec les négociateurs russes à Istanbul, Turquie. De gauche à droite : David Arakhamia, négociateur en chef, Mykhailo Podolyak, conseiller politique du président Volodymyr Zelensky et Mustafa Dzhemilev, chef des Tatars de Crimée.

L’état-major ukrainien s’est montré encore plus sceptique face à la désescalade, mardi soir. « Le soi-disant “retrait des troupes” est probablement une rotation d’unités individuelles qui vise à tromper le commandement militaire des Forces armées ukrainiennes », a-t-on jugé dans un communiqué.

Aux États-Unis, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, affirme qu’il n’est pas persuadé du « réel sérieux » de la Russie. « Il y a ce que dit la Russie et ce que fait la Russie. Nous nous concentrons sur ce qu’elle fait », a-t-il soulevé, laissant entendre que les Ukrainiens négociaient avec un pistolet « sur leurs têtes ». « On verra s’ils tiennent parole. Il semble y avoir un consensus sur le fait qu’il faut voir ce qu’ils ont à offrir », a aussi indiqué le président Joe Biden, à sa sortie d’un appel avec de nombreux dirigeants européens.

À Vancouver, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a estimé mardi que la fin des hostilités passait nécessairement par un « retrait complet des troupes russes » d’Ukraine, plaidant pour « la paix, la démocratie, la liberté et la souveraineté restaurées ».

Signe d’espoir, mais…

Pour Justin Massie, codirecteur du Réseau d’analyse stratégique (RAS) et professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), cette avancée dans les négociations « ne veut rien dire à court terme ». « La Russie ne va pas pour autant cesser ses opérations militaires. Ça n’enlève rien non plus à la poursuite des bombardements à Marioupol et dans le Donbass, où Poutine veut gagner le plus de terrain possible », observe-t-il.

Mais à plus long terme, « nous pouvons être plus optimistes », affirme l’expert. « Que les deux parties conviennent d’être proches d’un accord, qu’elles veulent aller vers un compromis, ça donne espoir. Mais c’est quand il y aura une date fixée pour une rencontre qu’il y aura encore plus d’espoir. On n’organise pas une telle réunion au sommet sans signature. Le coût politique est trop grand », dit M. Massie.

« Un cessez-le-feu, ça peut toujours être violé dans le futur. La Russie pourrait bien profiter de la fin des opérations militaires pour se préparer à une nouvelle agression », nuance aussi le professeur. « Cela dit, si on invoque l’article 5 de l’OTAN, ça impliquerait que si la Russie attaque à nouveau, des pays comme la France et les États-Unis pourraient entrer en guerre. Ça, c’est de la dissuasion. Et ça changerait la donne. »

Il y a une impasse dans l’intervention militaire russe, mais mon instinct me dit qu’il faudra attendre encore un peu. Les Russes vont entre autres vouloir prendre entièrement Marioupol.

Justin Massie, codirecteur du RAS

Continuer d’armer ou pas ?

Au Royaume-Uni, un porte-parole du premier ministre Boris Johnson a fait valoir mardi que Londres ne jugerait pas le régime de Vladimir Poutine sur « ses paroles », mais sur « ses actes ». Des sources ont indiqué qu’une conférence de presse sera organisée jeudi afin de mobiliser plus d’armes létales en Ukraine.

Mais armer davantage l’Ukraine dans le contexte « revient à essayer de casser la table », craint Ekaterina Piskunova, spécialiste de la politique étrangère russe à l’Université de Montréal. « Parler d’armement, je ne pense pas que ça renforce le potentiel de négociation. Au contraire, c’est contre-productif », soutient-elle.

« Les négociations vont vraiment se jouer sur le délai de la neutralité de l’Ukraine. C’est un pas vers le cessez-le-feu. Ça devrait pouvoir se faire à court terme, puisque c’est dans l’intérêt de tout le monde, mais il faut faire une distinction avec un accord de règlement, qui pourrait demander beaucoup plus de temps », analyse la spécialiste. Elle rappelle que le but avoué de Poutine demeure « de couper l’Ukraine de l’accès à la mer Noire », d’où les bombardements à Marioupol et Odessa.

Signe d’un optimisme mitigé s’il en est un, la Roumanie, qui partage une frontière avec l’Ukraine, compte distribuer la semaine prochaine des comprimés d’iode à sa population, afin de la « préparer » à un potentiel incident nucléaire. « Nous ne pouvons pas exclure totalement ce risque. On sait qu’en cas d’accident, on n’a pas le temps de distribuer les pilules », a dit mardi le ministre de la Santé, Alexandru Rafila.

Au Canada

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a soutenu mardi que le Canada devrait dévoiler « sous peu » de nouvelles sanctions contre le régime russe. On ignore toutefois pour le moment le rôle que pourrait jouer le gouvernement Trudeau dans les pourparlers en cours.

Avec l’Agence France-Presse