La Pologne, plus important pays d’accueil des réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre, doit maintenant faire face au défi de scolariser plus de 81 000 enfants ukrainophones et russophones, sans que l’on sache pour combien de temps. Un défi de taille, rapporte notre collaboratrice.

(Legionowo) Dans l’entrée de l’ensemble scolaire numéro 2 de Legionowo, un grand panneau affiche un oiseau bleu et jaune – symbolisant le drapeau bicolore ukrainien – qui prend son envol. « L’espoir donne des ailes », peut-on y lire en polonais, d’un côté, et en ukrainien, de l’autre.

PHOTO HÉLÈNE BIENVENU, COLLABORATION SPÉCIALE

École de Legionowo, en Pologne, qui accueille des élèves de 7 à 15 ans

Un peu partout dans l’école, d’autres bannières confectionnées par des élèves de 7 à 15 ans, avec l’aide de leurs professeurs, affichent une solidarité bilingue sans faille avec leurs camarades ukrainiens réfugiés de la guerre et déjà scolarisés dans cette école.

  • « L’espoir donne des ailes », peut-on lire en polonais et en ukrainien sur cette affiche.

    PHOTO HÉLÈNE BIENVENU, COLLABORATION SPÉCIALE

    « L’espoir donne des ailes », peut-on lire en polonais et en ukrainien sur cette affiche.

  • Des enfants polonais ont préparé des affiches en ukrainien disant : « Vous êtes en sécurité ici ».

    PHOTO HÉLÈNE BIENVENU, COLLABORATION SPÉCIALE

    Des enfants polonais ont préparé des affiches en ukrainien disant : « Vous êtes en sécurité ici ».

  • Bannière en solidarité avec les élèves ukrainiens réfugiés

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    Bannière en solidarité avec les élèves ukrainiens réfugiés

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Alors que la pause du midi bat son plein, des enfants, les yeux rivés sur leur téléphone, échangent quelques mots grâce à l’application Google Translate, passant avec une rapidité impressionnante de l’ukrainien au polonais, deux langues slaves relativement proches.

« Nos élèves s’étaient préparés à l’arrivée de leurs nouveaux camarades ukrainiens », explique Dorota Kuchta, directrice de cet établissement scolaire en banlieue de Varsovie.

Ils ont donc été accueillis les bras ouverts. Dans l’une de nos classes, une grand-mère avait préparé des beignets que Polonais et Ukrainiens ont dévorés ensemble lors d’une sortie scolaire.

Dorota Kuchta, directrice

Des classes « préparatoires »

Plus de 81 000 enfants ukrainiens arrivés en Pologne depuis le début de la guerre sont inscrits dans les écoles polonaises, a révélé le ministre de l’Éducation polonais, Przemyslaw Czarnek, en visite le 21 mars dernier dans une école à Lublin, dans l’est du pays. « Il va y avoir de plus en plus d’élèves. C’est pour cela que j’en appelle à la création d’unités pédagogiques préparatoires », a ajouté le même ministre à partir de cette grande ville à 100 km de la frontière ukrainienne.

Ces classes « préparatoires » existaient déjà dans certaines écoles polonaises. Elles consistent à enseigner la langue polonaise à raison de six heures par semaine. D’autres matières sont enseignées en polonais et traduites avec l’aide d’assistants linguistiques pour permettre l’intégration rapide d’enfants allophones.

La création de ces classes – qui mélangent plusieurs tranches d’âge – est désormais facilitée par deux récentes modifications à la réglementation. Il sera notamment possible qu’elles se déroulent en dehors des établissements scolaires. À cela s’ajoute une législation facilitant le travail et le séjour des Ukrainiens, entrée en vigueur le 12 mars, qui permet d’employer des enseignants de nationalité ukrainienne.

Dans son école, qui accueille plus de 85 enfants ukrainiens arrivés depuis la guerre, Dorota Kuchta a déjà mis en place 3 de ces classes et souligne avoir de la chance : parmi les mères des nouveaux arrivants se trouvent bon nombre de ses futures employées.

« Nous avons une enseignante qui enseignera le polonais en tant que langue étrangère, qui est elle-même réfugiée de cette guerre. Et nous avons deux mères ukrainiennes, arrivées elles aussi au cours des quatre dernières semaines. Je vais pouvoir les employer en tant qu’assistantes scolaires, car elles parlent le polonais », explique-t-elle.

En tout, on prévoit déjà embaucher cinq personnes supplémentaires rien que pour aider ces enfants à trouver leur place.

Dorota Kuchta, directrice

« Ils viennent avec des traumatismes »

La liste des professionnels engagés pour répondre aux besoins de ces enfants ukrainiens se fait longue. À commencer par deux employés chargés de préparer les repas à la cantine ainsi qu’une psychologue ukrainophone – une mère de famille réfugiée à Legionowo.

« Les enfants qui sont arrivés les premiers jours de la guerre ont été relativement épargnés », explique Dorota Kuchta. « Mais depuis, on a des enfants qui viennent d’endroits qui ont été bombardés, ils ont séjourné dans des abris antibombes, ont vu des choses horribles. Ils viennent avec des traumatismes qui demandent une aide psychologique particulière », insiste la directrice, de son bureau. « Il y a des enfants qui pleurent sans cesse. Dans une autre école de Legionowo, la directrice m’a raconté qu’elle a des enfants qui, lorsqu’ils entendent la sonnerie, se cachent sous la table, car ils pensent que c’est une alerte à la bombe. »

Lesia Khomyn, assistante scolaire arrivée le 26 février de l’ouest de l’Ukraine et embauchée dans la foulée par Dorota Kuchta, préfère relativiser. « Oui, il y a bien eu une petite fille ukrainienne, de l’école primaire, qui a pleuré lors de son premier jour, mais il y a une écolière de Kharkiv qui a reçu des fleurs de la part de ses camarades polonais pour son premier jour. Sa mère et elle étaient très touchées. Les enfants polonais font vraiment tout pour que leurs camarades ukrainiens se sentent à l’aise. Je n’ai pas de mots pour exprimer ma gratitude », s’émeut cette mère de famille avant d’ajouter que « les enfants essaient d’oublier la guerre ».

Mais le plus dur pour eux, c’est d’avoir laissé leur père et une bonne partie de leur famille au pays.

Lesia Khomyn, assistante scolaire

Un défi colossal

Dorota Kuchta, qui a dû rafraîchir ses rudiments de russe – une langue obligatoire, pendant l’époque communiste –, avoue que si les écoliers continuent à affluer dans son école, elle pourrait bientôt devoir les refuser. « Pour le moment, on s’en sort. Nous avons encore un peu de place dans nos classes. Mais si on double le nombre d’enfants, ça ne sera plus possible. Et puis, nous faisons déjà face à une pénurie d’enseignants. Or, la loi ne nous autorise pas à engager des enseignants sans original de leur diplôme et sans connaissance du polonais. On devrait ouvrir des classes internationales en ukrainien, qui suivent le curriculum ukrainien, car il est possible que ces enfants rentrent rapidement chez eux, il nous faut un système élastique », plaide encore la directrice.

Même son de cloche chez Sławomir Broniarz, à la tête de ZNP, plus grand syndicat des enseignants en Pologne, qui parle d’un défi colossal à relever pour le secteur de l’éducation. « Il y a deux paramètres fondamentaux qu’on ne connaît pas : combien de temps va-t-il falloir scolariser ces enfants et combien d’enfants vont arriver ? Dans tous les cas, toutes ces nouvelles classes et ces embauches vont coûter cher aux municipalités qui en ont la charge. Varsovie est une ville riche, elle pourra peut-être s’en sortir, mais ailleurs, il y a le risque que d’autres dépenses municipales soient sacrifiées », remarque-t-il.

En savoir plus
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    Nombre de réfugiés accueillis par la Pologne depuis le 24 février
    SOURCE : haut commissariat des nations unies pour les réfugiés