(Paris) Le 11 janvier, l’enseigne française d’alimentation E. Leclerc frappait fort en annonçant « bloquer », pendant six mois, le prix de la baguette de pain à… 29 centimes d’euro (0,40 $ CAN). L’objectif : poser « une action concrète pour défendre [le] pouvoir d’achat », pouvait-on lire sur la publicité.

Dans la semaine qui a suivi la diffusion de cette annonce, une armée de boucliers s’est levée. La patronne de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, Christiane Lambert, dénonçait cette décision qu’elle qualifiait de « coup politique et démagogique ». Le patron des supermarchés Lidl France, Michel Biero, qualifiait la stratégie « d’irresponsable ». Ce que fait E. Leclerc est « honteux », renchérissait de son côté le président de l’Association nationale de la meunerie française, Jean-François Loiseau.

« Ceux qui dénoncent un ‟prix trop bas”, alors que l’inflation redémarre fort, vivent sur une autre planète ! », se défendait Michel-Édouard Leclerc, président d’E. Leclerc, sur Twitter.

Consultez l’un des tweets de Michel-Édouard Leclerc

À trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle en France, la question du pouvoir d’achat suscite toujours de vives discussions, mais surtout, de vives inquiétudes. Le coût de la baguette en est un exemple probant, puisqu’il demeure pour de nombreux Français un repère de la variation des prix à la consommation.

À la Boulangerie le Fournil de l’Amiral, située dans le XIVe arrondissement de Paris, Mohamed Bechker vend sa baguette de pain à 1 euro. Bien au-dessus de celle d’E. Leclerc. Mais elle est « artisanale », s’empresse-t-il d’ajouter. S’il la vend plus cher, il craint de perdre des clients. En trois ans, le boulanger a augmenté le prix de sa baguette de 5 centimes. « Mais d’ici la fin de l’année, on va encore être obligé d’augmenter », lâche-t-il.

Naguère le produit « du pauvre »

Le prix de la baguette n’échappe pas à l’inflation. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), son prix moyen se situe autour de 91 centimes, mais certaines boulangeries ont dépassé le montant symbolique de 1 euro, comme le constate Mohamed. « Dans le quartier, on la retrouve à 1,15 euro », fait-il remarquer.

PHOTO FABRICE DIMIER, ARCHIVES BLOOMBERG

Le prix de la baguette n’échappe pas à l’inflation, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques.

La Parisienne Angélique Lacquet se souvient que la baguette se vendait entre 65 et 80 centimes, quand elle était plus jeune. Pour les plus chères, précise-t-elle. « C’était le produit ‟du pauvre”, ou du moins que tout le monde pouvait se payer. Aujourd’hui, c’est rendu cher pour ce que c’est », constate la jeune femme âgée de 26 ans.

Dans une entrevue au journal Le Figaro, le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française soutient que le prix de la baguette risque d’augmenter dans la plupart des 33 000 boulangeries de la France.

Le prix du blé, de la farine, de l’énergie, des salaires, des produits d’emballages… Tous les feux sont au rouge.

Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française

Selon les plus récentes données de l’INSEE publiées en février, l’inflation connaît une hausse de 3,6 % sur un an dans l’Hexagone, la plus importante depuis 2008. Les coûts pour l’ensemble de l’alimentation ont crû à 1,9 %, et à 5,6 % pour les seuls produits frais. Mais c’est le prix de l’énergie, qui a bondi de 21 %, qui gruge davantage le portefeuille des ménages.

Le marketing controversé d’E. Leclerc ne paraît donc pas inopportun. Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria réalisé à la mi-mars, un Français sur deux considère le pouvoir d’achat comme sa principale préoccupation (53 %), devant la guerre en Ukraine (44 %), l’environnement (26 %), le système de santé (22 %) et l’immigration (22 %).

La bataille du pouvoir d’achat

Les candidats à la présidentielle veulent d’ailleurs se tailler une place de choix dans le débat sur le pouvoir d’achat. La gauche demande l’augmentation du salaire minimum et la réduction des taxes sur certains biens de consommation. La droite, elle, veut plafonner les prix de l’énergie, réduire les impôts et défiscaliser les heures supplémentaires.

Dans un discours prononcé le 12 mars, le président et candidat Emmanuel Macron esquissait son programme électoral, lequel consacre une grande attention au pouvoir d’achat des Français. Il en a aussi profité pour vanter son gouvernement, qui a pris des « mesures fortes » (indemnité inflation, chèque énergie, blocage des prix du gaz) au courant des six derniers mois pour rehausser le pouvoir d’achat.

Des mesures fortes, mais coûteuses. Seulement pour 2022, l’économiste Mathieu Plane estime à 30 milliards d’euros les dépenses du gouvernement Macron en la matière.

L’équilibre budgétaire n’est plus une priorité. Ça ne mord pas autant dans l’opinion publique que la question du pouvoir d’achat.

Mathieu Plane, économiste et directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques

Une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques publiée le 17 mars montre toutefois que le pouvoir d’achat par ménage a progressé de 0,9 % par an sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais cette hausse n’efface pas les inégalités sociales persistantes. L’étude soutient que le pouvoir d’achat du 10 % des Français les plus pauvres a augmenté de 600 euros, contre 2600 euros pour les ménages les plus riches. Comme quoi Emmanuel Macron ne se débarrassera pas aussi facilement du qualificatif de « président des riches ».