(Zaporojie) Fuyant « l’enfer » de la ville assiégée de Marioupol, des familles ukrainiennes racontent les cadavres gisant plusieurs jours dans les rues, la faim, la soif et le froid mordant des nuits passées dans des caves avec des températures inférieures à zéro.

Sous la pression des bombardements incessants des forces russes sur ce port stratégique du Sud-Est de l’Ukraine, ces habitants, rencontrés par l’AFP à Zaporijia, à quelque 250 km au Nord-Est, racontent être parvenus à fuir après avoir dû faire fondre de la neige pour pouvoir boire de l’eau et cuire des déchets alimentaires sur des feux de bois pour se nourrir, faute d’approvisionnement en eau potable et en vivres.

« Ce n’est plus Marioupol, c’est l’enfer », dit Tamara Kavunenko, 58 ans. Les Russes « ont tiré tant de roquettes », ajoute-t-elle, « les rues sont jonchées de nombreux cadavres de civils ». « Quand il neigeait, nous avons récupéré la neige et l’avons fait fondre pour avoir de l’eau. Quand il ne neigeait pas, nous avons fait bouillir l’eau du fleuve pour la boire. »

Mme Kavunenko fait partie des plus de 4300 déplacés de Marioupol arrivés à Zaporijia depuis le début de la semaine. Selon Kyiv, plus de 2000 personnes sont mortes à ce jour à Marioupol. La ville revêt une importance stratégique dans la mesure où sa prise permettrait à la Russie de faire la jonction entre ses troupes en Crimée et celles au Donbass tout en barrant l’accès de la mer d’Azov aux Ukrainiens.

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Une femme essuie ses larmes en constatant les dégâts causés par les frappes russes, le 17 mars.

Jeudi, l’Ukraine a accusé Moscou d’avoir bombardé un théâtre de la ville, où s’étaient réfugiées des centaines d’habitants, sans tenir compte de l’avertissement « Diéti » (« Enfants » en russe) inscrit au sol en lettres géantes devant et derrière le bâtiment.

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Sur cette image satellite, on aperçoit le mot « Diéti » (« Enfants » en russe) écrit des deux côtés du théâtre de Marioupol, le 14 mars.

Odeur de mort

Dans un message publié sur Telegram, le maire de Marioupol, Vadim Boïtchenko, a indiqué qu’environ 6500 voitures avaient pu quitter la ville dans la nuit de mercredi à jeudi.

À Zaporijia, dans un bâtiment de cirque de l’époque soviétique, des bénévoles de la Croix-Rouge attendent les personnes évacuées à côté de piles de chaussures d’enfants et de couvertures.  

Ongles longs et mains sales, Dima dit à l’AFP ne s’être pas lavé depuis deux semaines et avoir dû piller dans des magasins pour pouvoir nourrir ses enfants et ses grands-parents.

« Nous avons vécu sous terre et quand il faisait -4 degrés Celsius, c’était une bonne température », dit-il en levant la jambe pour montrer qu’il porte trois pantalons pour se protéger du froid.

Parfois, les cadavres restent dans la rue pendant trois jours. L’odeur imprègne l’atmosphère et personne ne voudrait que ses enfants sentent ça.

Dima, résidant de Marioupol

Dima raconte être parvenu à quitter Marioupol au bout de la troisième tentative et être arrivé mardi à Zaporojie avec sa femme et ses deux jeunes enfants.

Daria, elle, se souvient d’avoir vécu dans la cave de son immeuble avec son bébé, une fille, pendant 10 jours.  

« Épuisés, malades, en pleurs »

« De jour en jour cela devenait pire », dit-elle, « nous étions abandonnés sans lumière, sans eau, sans gaz, sans le moindre moyen de subsistance. Il était impossible d’acheter quoi que ce soit, nulle part ».

Bénévole de la Croix-Rouge, Marina constate la grande détresse des rescapés. « Ils [sont] épuisés, malades, en pleurs », dit-elle. À Zaporijia, on leur offre un abri et la possibilité de prendre une douche. « Nous prenons soin d’eux », ajoute Marina, « on leur fournit tout. »

Le seul moyen de fuir Marioupol est la voiture. « Nous avons vu des gens avec des rubans blancs [sur leur véhicule] qui étaient en train de partir », témoigne une femme, Darya, disant s’être jointe à eux après avoir proposé à une voisine d’en être elle aussi.  

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Pour certains, le voyage de Zaporijia, qui se fait habituellement en trois ou quatre heures a pris un jour et demi.

Beaucoup parmi ceux qui ont pu rallier Zaporijia disent avoir été dans l’impossibilité de quitter leurs abris à cause de la violence des attaques russes et avoir trouvé une route sûre par hasard, sans pouvoir s’aider du téléphone ou de l’internet.