La Russie menace d’intensifier à court terme ses opérations militaires en Ukraine afin de prendre le « contrôle total » de grandes villes qui sont encerclées depuis plusieurs jours déjà.

Un porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a assuré lundi que le président Vladimir Poutine avait demandé jusque-là aux troupes russes de surseoir à tout « assaut rapide » pour éviter de lourdes pertes civiles alors que le gouvernement ukrainien et ses alliés leur imputent de multiples crimes de guerre.

M. Peskov a souligné du même souffle que l’opération russe progressait « conformément aux plans » et que les troupes disposaient de tout le matériel requis pour atteindre les objectifs fixés, écartant des suggestions du gouvernement américain voulant que Moscou ait demandé l’aide de la Chine pour regarnir son arsenal.

L’assurance manifestée par les autorités russes contraste avec l’évaluation faite par le ministère de la Défense américain, qui soulignait lundi les « progrès limités » enregistrés par les forces russes au cours des derniers jours, incluant dans la capitale, Kyiv, malgré d’incessants bombardements et tirs d’artillerie.

Le vice-recteur à la recherche au Collège militaire royal de Saint-Jean, Pierre Jolicœur, souligne que les dommages infligés notamment à la ville portuaire de Marioupol, où des centaines de milliers de personnes sont privées d’eau et de nourriture depuis des jours, montrent bien que les forces russes « n’ont pas fait dans la dentelle » et sont peu soucieuses des pertes civiles.

« S’ils avaient pu en prendre le contrôle, ils l’auraient fait », note l’analyste, qui s’attend à ce que l’armée russe paie un lourd tribut si le Kremlin donne effectivement l’ordre à l’armée de se lancer à l’assaut des grandes villes assiégées pour les contrôler complètement plutôt que de les pilonner de la périphérie.

Contestations en Russie

Moscou prétend avoir recruté des milliers de combattants syriens qui pourraient jouer un rôle clé dans de potentiels combats urbains et réduire le nombre de victimes russes, minimisant du même coup les risques de grogne populaire au pays, note M. Jolicœur.

« Personne en Russie ne se préoccupe de ce qui va leur arriver [aux combattants étrangers]. C’est de la chair à canon », dit-il.

Le Kremlin verrouille les médias en Russie, qui présentent l’offensive militaire en cours en Ukraine comme une « opération spéciale » visant à « dénazifier » le pays, mais ne peut étouffer complètement les informations en provenance du terrain.

Une employée d’une chaîne de télévision populaire a été arrêtée lundi après avoir brandi une pancarte dénonçant la guerre pendant un bulletin de nouvelles. Des milliers de personnes ayant réclamé la fin des combats ont été appréhendés à l’échelle du pays au cours des dernières semaines.

Zelensky maintient ses demandes

Alors que la Russie maintient la pression militaire, le gouvernement ukrainien multiplie les appels à ses alliés occidentaux en les pressant d’en faire plus pour aider l’armée du pays à tenir.

Le président Volodymyr Zelensky, qui doit parler ce mardi devant le Parlement canadien, a demandé à plusieurs reprises à l’OTAN d’aménager une zone d’exclusion aérienne, mais s’est buté à un refus catégorique, les dirigeants américains et européens craignant une confrontation directe avec Moscou susceptible de générer un conflit débordant largement des frontières de l’Ukraine.

Les autorités ukrainiennes réclament par ailleurs un durcissement des sanctions économiques et financières appliquées contre la Russie, qui a déjà été ciblée par plusieurs mesures ayant précipité une forte chute du rouble.

Kyiv souhaite que les pays européens cessent rapidement leurs importations de gaz et de pétrole russes, de manière à priver du même coup le Kremlin de revenus quotidiens de centaines de millions de dollars.

L’Allemagne, qui est très dépendante des hydrocarbures russes, refuse notamment de s’engager en ce sens. Le ministre de l’Économie, Robert Habeck, a affirmé dimanche qu’un découplage trop rapide entraînerait « du chômage de masse » et empêcherait nombre de ses compatriotes de « chauffer leur maison ».

Les intentions de Pékin surveillées

Le Kremlin peut compter, quoi qu’il advienne, sur ses ventes à la Chine, qui a signé avec Moscou il y a quelques années un important contrat d’approvisionnement énergétique valable pour une période de 30 ans.

Les États-Unis ont averti le gouvernement chinois lundi, lors d’une rencontre de haut niveau à Rome, que toute tentative pour aider la Russie à contourner les sanctions économiques liées à l’invasion de l’Ukraine ou lui fournir de l’armement aurait des conséquences, suscitant une réaction colérique.

Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la Chine, Zhao Lijian, a déclaré que son pays cherchait à jouer un rôle « constructif en encourageant la tenue de pourparlers de paix ».

« Toutes les parties concernées doivent faire preuve de retenue et chercher à faire diminuer les tensions plutôt que de mettre de l’huile sur le feu », a-t-il noté, accusant Washington de manifester de « sinistres intentions » envers Pékin.

Reprise des pourparlers

Plusieurs pays tentent de faciliter la conclusion d’un cessez-le-feu entre les belligérants, mais les pourparlers menés à ce jour n’ont pas permis d’avancées majeures. Ils doivent reprendre ce mardi après une pause technique.

Le président russe s’est montré insensible jusqu’à maintenant aux condamnations internationales de son action en Ukraine et semble peu susceptible à ce titre de s’émouvoir d’une décision attendue mercredi de la Cour internationale de justice.

Moscou a boycotté le processus lancé à la demande du gouvernement ukrainien, qui presse l’organisation internationale d’ordonner la fin de l’offensive en désavouant le prétexte de « génocide » avancé par le Kremlin pour la justifier.

Kyiv demande par ailleurs au Conseil de l’Europe, la principale organisation de défense des droits de la personne du continent, d’exclure la Russie de ses rangs en raison de son action en Ukraine.

Le premier ministre de l’Ukraine, Denys Chmyhal, a souligné que les autorités européennes avaient erré par le passé en cherchant à « apaiser l’agresseur » russe, qui vient, accuse-t-il, de déclencher un conflit « susceptible de devenir la troisième guerre mondiale ».