La guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’approvisionnement énergétique de bon nombre de nations pourrait bien entraîner une nouvelle hausse mondiale des émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais ses effets à moyen et à long terme sont plus difficiles à prédire. Le point au sujet d’éventuelles conséquences sur la lutte contre les changements climatiques.

Déjà des « victimes » collatérales

La Bulgarie a annoncé vendredi le report de la fermeture de ses centrales au charbon. Celles-ci devaient être remplacées par des installations alimentées au gaz naturel, fourni par la Russie. « Nous n’acceptons pas une transformation qui va accroître notre dépendance » à une source d’énergie provenant d’un pays « qui mène une guerre », a déclaré le ministre des Finances, Assen Vassilev. Le dilemme est de taille pour ce petit pays de presque 7 millions d’habitants où 34 % de l’électricité est assurée par le charbon, alors que 77 % du gaz est livré par le géant russe Gazprom. La seule centrale nucléaire du pays est aussi dotée de réacteurs russes alimentés par du combustible russe. Rappelons que le gouvernement bulgare s’était engagé à se retirer complètement du charbon d’ici 2040. De premières fermetures de centrales au charbon étaient programmées pour 2026.

« Une guerre des énergies fossiles »

Pour Svitlana Krakovska, scientifique ukrainienne et membre du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), cette guerre représente une menace dans la lutte contre les changements climatiques. En entrevue au quotidien The Guardian, elle a déclaré mercredi dernier voir des parallèles entre les deux. « La combustion de pétrole, de gaz et de charbon provoque un réchauffement et des impacts auxquels nous devons nous adapter. Et la Russie vend ces ressources et utilise l’argent pour acheter des armes. D’autres pays sont dépendants de ces énergies fossiles, ils ne s’en libèrent pas. C’est une guerre des combustibles fossiles. Il est clair que nous ne pouvons pas continuer à vivre ainsi, cela détruira notre civilisation. »

L’Europe et les énergies fossiles russes

Que feront les pays européens qui dépendent encore largement des exportations de la Russie en matière de pétrole (48 %) et de gaz (70 %) ? La réponse n’est pas simple. Mais déjà, l’Allemagne a annoncé son intention d’accélérer sa transition vers les énergies vertes en réponse au conflit ukrainien. Et la transition peut parfois se faire rapidement. Par exemple, en deux ans seulement, entre 2019 et 2021, les Pays-Bas et la Finlande ont réussi à réduire leur consommation de gaz de 22 % et 17 % au profit d’énergies renouvelables. La guerre en Ukraine ne devrait pas en principe ralentir la transition énergétique, croit Louis Beaumier, directeur exécutif de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal. « Ce qu’on peut même espérer, c’est que ça accélère la transition », affirme-t-il.

« Souffrir à court terme pour des gains à long terme »

C’est le titre d’une recherche qui vient d’être publiée par les économistes Maksym Chepeliev, Thomas Hertel et Dominique van der Mensbrugghe (Cutting Russia’s fossil fuel exports : Short-term pain for long-term gain). Leur hypothèse, c’est qu’il serait possible de s’affranchir du pétrole et du gaz russes avec des effets bénéfiques sur le climat. Ils concluent notamment que des restrictions sur les exportations russes auraient un coût modeste pour l’économie de l’Union européenne, mais « qui se traduirait par d’importants avantages environnementaux connexes grâce à la réduction des émissions de CO2 et des polluants atmosphériques ».

Comme en 1973 ?

La guerre en Ukraine qui conduit à une hausse des prix du pétrole et du gaz pourrait-elle mener à un choc pétrolier comme celui de 1973 ? C’est la question que se pose Louis Beaumier, de l’Institut de l’énergie Trottier. La crise à l’époque avait mené à d’importantes transformations en raison de la hausse considérable des prix du pétrole et de l’essence à la pompe. L’expert rappelle que de nombreux consommateurs ont modifié alors leurs habitudes. C’est aussi à partir de ce moment-là que de nouveaux modèles de voitures, plus petits, sont arrivés sur le marché. Un avis que ne partage pas nécessairement Charles Séguin, professeur au département des sciences économiques de l’UQAM. « On ne revivra pas 1973. Il y a aussi beaucoup plus d’options technologiques qu’il n’y en avait à l’époque [quand les prix du pétrole ont explosé]. »

Le climat, gagnant ou perdant ?

Difficile pour l’instant de prédire si les effets de la guerre en Ukraine sur les prix des énergies fossiles vont permettre d’accélérer la transition énergétique. Pendant ce temps, les mauvaises nouvelles continuent de s’accumuler. L’Agence internationale de l’énergie a annoncé, la semaine dernière, que les émissions de GES du secteur mondial de l’énergie ont augmenté de 6 % en 2021 par rapport à l’année précédente. Pour sa part, le professeur Séguin croit qu’il n’y aura pas d’impacts à court terme sur le front climatique. « Si le conflit perdure, l’OPEP [Organisation des pays exportateurs de pétrole] va réagir. Ça reste, à mon avis, un choc [la hausse de prix] à court terme. »

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 700 millions US
    Valeur du pétrole et du gaz achetés chaque jour à la Russie par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne
    Source : Bloomberg