(Velyka Dymerka) Sur une station-service désertée de l’autoroute du nord, un officier ukrainien prévient : « N’allez pas plus loin, les Russes sont derrière ». En cinq jours, ils ont avancé de plus de 80 km sur le front nord-est, et s’approchent de Kyiv.

L’homme en tenue de camouflage tend le bras vers le nord, où l’autoroute vide fend tout droit l’horizon des champs enneigés en ce mercredi froid et grisâtre.

« Les chars russes sont juste là, à deux kilomètres », dit-il, en ordonnant à un véhicule civil de faire demi-tour. Avec un conseil : « Conduisez en zigzag, pour éviter leurs tirs ».

Puis il retourne à ses observations, avec sa dizaine de soldats chargés de donner à l’armée ukrainienne de quoi localiser les chars russes, et de les bombarder pour les arrêter dès qu’ils ont décidé de faire une percée.

Samedi dernier, sur cette même route, les troupes russes étaient encore au niveau de Tcherniguiv, à quelque 80 kilomètres plus au nord.

Cette percée le long de l’autoroute depuis le nord, qui les amène juste à l’est de Kyiv, renforce les craintes d’un prochain encerclement de la capitale. Les chars russes sont déjà à quelques kilomètres de l’autre côté, sur le flanc nord-ouest.  

Dans les villages environnants, de rares voitures circulent encore, furtivement. Sur leur pare-brise arrière, les habitants de cette nouvelle ligne de front ont placardé une affiche avec un mot écrit à la main, « Enfants », dans l’espoir un peu dérisoire que cela les préservera des bombardements russes, qui ont régulièrement tué des civils depuis le début de la guerre.

Dresseur de chiens

Dans le village le plus proche, Velyka Dymerka, « la plupart des femmes et des enfants sont partis, il reste surtout les hommes », souligne Oleg, 43 ans, l’un des volontaires civils qui gardent le premier point de contrôle en venant de l’autoroute.

Oleg est tendu : hier, les chars russes ont pris le contrôle des deux villages d’à côté : Schevchenkove et Bohdanivka. Juste après, en début d’après-midi, « les Russes nous ont bombardés avec des missiles Grad et des roquettes », dit-il.

L’un d’eux a éventré une maison au milieu d’autres dans le village : celle, de briques à deux étages, de Petro Dvorskiy, qui par chance se cachait au sous-sol avec sa femme, explique à l’AFP son fils Vadim, 45 ans.

Une vingtaine d’heures plus tard,  une épaisse fumée blanche continue de s’échapper du toit désormais à ciel ouvert. À l’intérieur, le plafond s’est effondré, les canalisations ont cédé à l’étage. Il pleut dans la maison, et les meubles du salon ont les pieds dans l’eau entre couches de gravats et débris calcinés.

Les Russes ont ensuite tenté de fondre sur Velyka Dymerka, mais l’armée ukrainienne les en a empêchés en faisant sauter un de leurs tanks au lance-roquettes, selon les volontaires locaux, qui montrent des photos du blindé calciné au milieu de la route.

Pour l’heure, aucun d’entre eux ne fait état de civils tués par les Russes ces derniers jours, ni dans les bombardements ni dans les villages pris.

Au dernier point de contrôle avant Bohdanivka, le commandant des volontaires, Yuri, un grand et robuste gaillard chauve de 49 ans qui était dresseur de chiens avant la guerre, scrute la route grise, droite et dégagée qui le sépare de l’ennemi.

« C’est du 50-50 »

« C’est calme maintenant, mais hier, c’était chaud », note-t-il. Au pied du point de contrôle gît un tas de restes de tubes métalliques tordus. « Des missiles Grad », dit Yuri.

Selon lui, la colonne russe qui a pris Bohdanivka compte plus de 70 véhicules militaires, dont une quarantaine de tanks, pour environ 300 soldats.

Selon lui, « les Russes arrivent dans les villages, tirent sur les maisons pour effrayer les habitants et volent tout ce qu’ils peuvent pour se ravitailler ». « Ils garent leurs véhicules le long des maisons, à côté des habitants, là où ils ne seront pas bombardés ».

Avant de prendre congé, il veut faire passer un message : « Il faut que l’Occident aide l’Ukraine ». Mercredi à Velyka Dymerka, les soldats étaient rares, et les volontaires disaient former les villages au maniement du lance-roquettes.  

Velyka Dymerka va-t-elle être envahie ? « C’est du 50-50 », sourit tristement Aleksei, un volontaire de 38 ans.

De la résistance des Ukrainiens à la capacité des Russes à encercler et prendre Kyiv, les inconnues restent nombreuses, deux semaines après le début du conflit.

Quelques kilomètres plus loin, près de Brovary, porte de Kyiv par l’est, Vladislav, un soldat ukrainien de 22 ans, estime que les Russes « manquent de nourriture et d’essence », « sont sur les rotules » et finiront « bombardés et démoralisés ».

Mais Sulim, commandant adjoint du bataillon, plus expérimenté avec ses 40 ans, pense qu’ils vont « continuer à aller de l’avant ». Il aimerait bien que certains hauts gradés russes changent d’avis, mais sans grand espoir, car « c’est dur de parler à quelqu’un chez eux ».