Des opposants au pouvoir en Russie continuent jour après jour de scander « Non à la folie de la guerre », malgré la répression qui s’intensifie. Vladimir Poutine « ne représente pas la population », dénonce une femme.

Le 24 février dernier, le mariage d’Arshak Makichyan et Polina Oleinikova, deux Moscovites, s’est rapidement transformé en protestation contre la guerre : Vladimir Poutine venait de lancer son offensive contre l’Ukraine. « On a annulé les célébrations, relate Arshak, gestionnaire de réseaux sociaux âgé de 27 ans. Sur ma chemise, j’ai écrit “Fuck the war”. » Les nouveaux mariés sont alors descendus dans la rue, le poing levé. « Mon pays est l’agresseur », se désole Polina, qui raconte avoir la voix éraillée en raison des nombreux « Non à la folie de la guerre » scandés.

Depuis une semaine, des manifestations contre l’invasion en Ukraine se sont déroulées dans plus de 50 villes en Russie. Elles ont été sévèrement réprimées. Cinq enfants, âgés de 7 à 11 ans, ont été détenus avec leurs mères par la police de Moscou, pour avoir déposé des fleurs devant l’ambassade de l’Ukraine, a rapporté mercredi le quotidien britannique The Guardian.

PHOTO FOURNIE PAR ARSHAK MAKICHYAN

Polina Oleinikova et Arshak Makichyan, au poste de police

Arshak Makichyan et Polina Oleinikova racontent avoir été arrêtés le 25 février, après que la jeune femme est sortie dans la rue vêtue d’un habit militaire russe couvert de faux sang, en guise de protestation. « Ils nous ont détenus au poste de police durant près de cinq heures, relate-t-elle. Sans pouvoir aller aux toilettes durant quatre heures. »

Cette arrestation n’a pas empêché le couple de multiplier les gestes de protestation, autant dans la rue qu’en ligne, par le truchement de vidéos diffusées sur le réseau social TikTok. « Nous essayons de faire une différence en Russie, soutient Arshak Makichyan. Même si parfois, cela semble impossible. »

Fuir ou protester

Découragés, de jeunes Russes quittent le pays, devenu « invivable », remarque Polina Oleinikova. Comme sa sœur, qui a plié bagage pour aller à Abou Dabi. Mais pas Polina.

Je ne veux partir en aucun cas. J’ai certains amis qui se sentent forts en voyant mes actions. Si je pars, c’est comme si je leur disais qu’il n’y avait plus d’espoir.

Polina Oleinikova

Pour tenir le coup, Polina Oleinikova dit être inspirée par Alexeï Navalny, opposant russe emprisonné depuis janvier 2021. Après un empoisonnement qui lui a presque coûté la vie et dont il accuse le Kremlin, le militant anticorruption a quitté l’Allemagne, où il était soigné, pour retourner en Russie. Et ce, malgré la certitude d’être incarcéré à son retour, en raison d’accusations de fraude par les autorités russes. « C’est son pays et il sentait que c’était sa responsabilité de revenir », fait valoir la jeune femme.

PHOTO SHAMIL ZHUMATOV, ARCHIVES REUTERS

L’opposant Alexeï Navalny

Alexeï Navalny a d’ailleurs appelé mercredi ses concitoyens à ne pas devenir « une nation de sans-voix apeurés » et à braver les intimidations des autorités en manifestant chaque jour contre l’invasion de l’Ukraine, dans un message rendu public sur les réseaux sociaux. L’opposant russe a dénoncé une guerre brutale déclenchée par le « petit tsar complètement fou », en référence au président.

Une population divisée

Vladimir Poutine ne représente pas les Russes, insiste Alexa, réalisatrice et scénariste, jointe à Moscou. « Nous ne lui avons pas demandé de faire ces choses épouvantables en notre nom », précise la femme, qui a souhaité taire son nom de famille par crainte de représailles. 

« Notre gouvernement abuse de nous », se désole à son tour Sophie, une étudiante de 19 ans résidant à Moscou, qui, elle non plus, n’a pas voulu révéler son nom de famille. Il n’y a rien que la population puisse faire pour être écoutée, estime-t-elle.

Malgré les voix qui s’élèvent partout au pays pour dénoncer l’invasion de l’Ukraine, un quart de la population s’oppose à la guerre, selon une estimation personnelle d’Alexeï Levinson, responsable de la recherche socioculturelle au Centre Levada, institut de sondage indépendant installé à Moscou.

« Certaines personnes dans la population approuvent totalement ce que fait la Russie, dit M. Levinson. Toutefois, ces gens ne sont pas bien informés. Ils tirent surtout leurs informations de la télévision russe. » Selon le chercheur, leur image du conflit est « déformée », particulièrement en ce qui a trait au nombre de morts chez les soldats russes, qu’ils croient peu élevé.

Avec l’Agence France-Presse

Les prix montent

Le poids des sanctions économiques se fait déjà sentir sur la population russe, renforçant l’idée que le « pays est en train de s’écrouler », raconte Arshak Makichyan. Les prix montent dans les magasins et de nombreuses personnes vident leurs comptes bancaires de peur d’y perdre accès, note-t-il. « Nous essayons de ne pas sombrer dans le désespoir », dit-il. D’importantes queues se forment devant les pharmacies, car certains citoyens craignent de ne plus avoir accès à leurs médicaments venus de l’étranger, observe Alexeï Levinson.