Attaquer une centrale nucléaire ? « C’est une situation un peu affolante », dit Guy Marleau, spécialiste du génie nucléaire depuis 40 ans et professeur à la retraite de Polytechnique Montréal.

L’Ukraine a indiqué vendredi matin (heure d’Ukraine) que la sécurité nucléaire de Zaporijjia était assurée. L’armée russe a bombardé un bâtiment servant à la formation et un laboratoire de la centrale, y provoquant un incendie. Heureusement, la partie de la centrale abritant les réacteurs nucléaires n’a pas été touchée. Selon l’Organisation internationale de l’énergie atomique, les niveaux de radiations sur le site n’avaient pas changé.

Guy Marleau, un expert en matière de centrales nucléaires depuis 40 ans, trouve néanmoins la situation « un peu affolante ».

On ne sait jamais ce qui peut arriver si des gens tentent d’attaquer une centrale. Une bombe ou un missile pourrait se diriger par erreur sur le bâtiment des réacteurs.

Guy Marleau, spécialiste du génie nucléaire

Qu’est-ce qui arriverait s’il y avait une explosion nucléaire ? « Il n’y aurait pas beaucoup de morts, car il y a des systèmes de protection, mais il pourrait y avoir de la contamination à longue distance du réacteur [un seul des six réacteurs nucléaires de la centrale est en fonction], dit M. Marleau. Des produits radioactifs seraient émis dans l’air. Il y aurait des conséquences en Ukraine, mais comme les vents dominants vont habituellement vers la Russie, les Russes subiraient [probablement] le gros des conséquences. »

« Résister à de fortes attaques »

L’édifice d’une centrale nucléaire contenant les réacteurs peut-il résister à une attaque militaire ? Théoriquement, oui. « Le bâtiment des réacteurs [de la centrale de Zaporijjia en Ukraine] a été construit pour résister à de fortes attaques, dit Guy Marleau. Ces réacteurs-là sont protégés par une grosse enveloppe en béton. C’est censé résister au choc d’un Boeing 747. En principe, il ne devrait pas y avoir d’effets secondaires très forts [en cas d’attaque]. Mais on ne sait jamais. Peut-être, par exemple, que le béton a été mal installé. »

En pratique, le principal problème en cas de nouvelles attaques russes serait la coupure de l’alimentation en électricité de la centrale nucléaire, selon M. Marleau. Car les pompes à l’intérieur des réacteurs – qui servent à refroidir les réacteurs – fonctionnent à l’électricité. Pas d’électricité, pas de pompes. Pas de pompes, pas de refroidissement du combustible nucléaire. Le cœur du réacteur pourrait fondre, ce qui pourrait entraîner une explosion (personne ne peut prédire avec certitude s’il y aurait une explosion, tout dépend des mécanismes de sécurité installés dans le réacteur).

En cas de problème majeur [avec l’approvisionnement en électricité], il y a des générateurs d’urgence.

Guy Marleau, spécialiste du génie nucléaire

Si une attaque coupait la source d’approvisionnement en électricité et détruisait les générateurs d’urgence, « les risques [d’une explosion ou d’un accident nucléaire] seraient très forts », dit M. Marleau.

S’il faut recourir aux générateurs d’urgence, c’est très mauvais signe. La marge de manœuvre devient alors très mince – tout ce qu’on ne veut pas dans une centrale nucléaire. « Il faut s’assurer que les pompes continuent à fonctionner, dit M. Marleau. Lors de l’explosion de Tchernobyl, l’eau est arrivée et elle a complètement noyé les générateurs d’urgence. »

Plus grande centrale nucléaire d’Europe, la centrale de Zaporijjia a été construite selon les normes européennes et nord-américaines, selon M. Marleau.

Sans cette centrale nucléaire, l’Ukraine manquerait assurément d’électricité et de chauffage en plein hiver. « Si vous voulez fournir de l’électricité et permettre aux gens de survivre, il faut probablement la laisser ouverte », dit Guy Marleau.

Avec l’Agence France-Presse