(Rzeszów, Pologne) Si Moscou décidait de s’en prendre militairement aux États baltes, autrefois dans le giron soviétique, l’OTAN riposterait. C’est à tout le moins ce qu’assure la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly.

Évidemment, on n’en est pas là. Mais… « An attack on one is an attack on all, tranche-t-elle. Ils font partie de l’OTAN. À partir du moment où on a décidé de les accepter dans l’alliance de l’OTAN, on a décidé aussi qu’on allait assurer leur sécurité, qui est aussi la nôtre. »

Alors « oui, c’est sûr » que si la Russie franchissait cette ligne rouge, les pays membres de l’OTAN sortiraient l’artillerie, affirme la ministre en entrevue avec La Presse pendant sa visite à Rzeszów, en Pologne, mercredi.

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La ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, a visité mercredi la gare de Rzeszów, en Pologne, où elle a échangé avec des Ukrainiens qui ont fui la guerre.

Le flanc est de l’Alliance atlantique regroupe la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie – trois pays qui partagent une frontière avec la Russie, et qui ensemble comptent environ six millions d’habitants.

En vertu de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, si un pays de l’Alliance est attaqué, les autres sont tenus de se porter à sa défense. L’Ukraine, contre qui la Russie est entrée en guerre, n’est pas membre de l’OTAN ; aussi n’a-t-on pas répliqué militairement.

L’attitude guerrière de Vladimir Poutine inquiète les pays bordés par la mer Baltique. La Lituanie, en particulier, est vulnérable aux humeurs de l’homme fort du Kremlin, car elle partage une frontière avec l’oblast de Kaliningrad, enclave russe stratégique.

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Gitanas Nausėda, président de la Lituanie

À Vilnius, la capitale, les dirigeants sont sur leurs gardes et ils ne se privent pas de sonner l’alarme. « Si l’Ukraine tombe, vous pouvez être assurés que nous serons les prochains et que la Russie sera à nos portes », a dit à CNN le président lituanien, Gitanas Nausėda, mardi.

La ministre Joly se dit sensible à ces préoccupations.

C’est sûr qu’on a une inquiétude. Quand nos alliés sont inquiets, on l’est aussi. Et c’est pour cela qu’on a décidé de mettre 3000 militaires en alerte maximale, qu’on a décidé aussi de renforcer notre contribution à l’OTAN.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Car « la sécurité de la Lettonie, de la Lituanie et de l’Estonie est fondamentale, et donc c’est sûr et certain que notre objectif, c’est de les soutenir », a fait valoir Mme Joly.

« L’un des pires calculs qu’on ait vus dans l’histoire récente »

En entrant en guerre contre l’Ukraine, le président russe a fait « l’un des pires calculs qu’on ait vus dans l’histoire récente », car il a réussi à « unir l’Ouest » en plus de « devenir une figure détestée », martèle la diplomate en chef du Canada.

Et des mesures de représailles, il va s’en ajouter, a-t-elle signalé : « D’autres sanctions seront annoncées d’ici la fin de la semaine. » L’ambassadeur de Russie à Ottawa, Oleg Stepanov, reste quant à lui dans la capitale canadienne jusqu’à nouvel ordre.

« On sait très bien qu’en matière diplomatique, il y a toujours une réciprocité, et pour nous, c’est important qu’on ait notre ambassadrice en Russie », notamment parce que « c’est important d’avoir nos yeux et nos oreilles sur le terrain », argue la ministre.

Mais elle n’écarte pas catégoriquement une éventuelle expulsion : « Pour l’instant, c’est ça la situation, mais on garde quand même les options ouvertes, car on veut travailler avec nos homologues du G7 là-dessus. »

Le Parti conservateur demande au gouvernement Trudeau de chasser le chef de mission.

Visite en Pologne et souvenirs de Genève

La ministre effectuait une visite éclair en Pologne, mercredi. Après avoir rencontré le personnel de l’ambassade du Canada en Ukraine qui a été déplacé temporairement à Rzeszów, elle a visité la gare, où elle a pu échanger avec des Ukrainiens qui ont fui la guerre.

Plus de 450 000 réfugiés ukrainiens se sont fait un chemin jusqu’au pays voisin depuis le début de la guerre, le 24 février dernier, selon ce que rapportait mercredi l’Agence polonaise de presse (PAP). Le nombre total de réfugiés qui ont fui l’Ukraine, lui, atteint 1 million depuis le début de l’invasion russe il y a une semaine, selon le haut-commissaire des Nations unies aux réfugiés.

La veille, Mme Joly était à l’Office des Nations unies à Genève, où elle a pris part à ce qu’elle a qualifié de « moment historique », alors que son homologue russe, Sergueï Lavrov, a fait l’objet de boycottage diplomatique.

« Au départ, le ministre Lavrov devait être présent. Et déjà, on s’organisait pour trouver une façon de lancer un message fort », raconte-t-elle au sujet de ce « premier grand geste » de la coalition « antiguerre » qui se bâtit, et dont le Canada fait partie.

« L’ambassadrice de l’Ukraine s’est levée, et ensuite, une très grande majorité a suivi. Et donc, c’était très émouvant. Nous sommes sortis, puis sommes descendus en bas, et de façon spontanée, on a respecté une minute de silence avec le drapeau de l’Ukraine », se souvient Mme Joly.

« Ils ont espoir de rentrer »

À la gare de Rzeszow, en Pologne, des réfugiés ukrainiens sont déchirés entre le besoin de fuir la guerre et l’espoir de rentrer chez eux. En attendant, les autorités les prennent sous leur aile.

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La ville de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, a été épargnée par l’armée russe jusqu’à présent. Mais cela ne veut pas dire qu’il fait bon y vivre. « C’est dur de travailler. On entend tout le temps les sirènes. C’est épeurant », expose une femme assise dans l’aire d’attente de la gare de Rzeszów en compagnie de sa mère. Son copain et son père, eux, sont restés à Lviv. « Nos hommes protègent notre ville », dit-elle d’un ton déterminé.

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Une mère de famille fond en larmes. Elle a quitté Kyiv, elle ignore où se trouve son mari, raconte-t-elle. « Je n’ai pas de nouvelles de lui depuis des jours », sanglote-t-elle sous le regard de ses deux enfants, qui sirotent un jus. Le garçon et la fille regardent leur mère de leurs yeux bleus, sans bouger.

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La population craint que le conflit déborde et se rende jusqu’aux portes polonaises.

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La gare de Rzeszów est loin d’être aux prises avec un afflux de réfugiés majeur, si on la compare à d’autres. Mais la ville n’est pas très loin de la frontière, et ces jours-ci, tous les hôtels affichent complet – là comme dans la majorité des villes des alentours. Dans cette pièce de la gare qu’a visitée la ministre Mélanie Joly, on entrepose aussi des dons destinés aux réfugiés.

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« Les gens veulent être proche de la frontière pour pouvoir retourner en Ukraine », dit le maire de Rzeszów, Konrad Fijolek, en parlant des réfugiés. « Ils ont espoir de rentrer. On verra ce que l’avenir leur réserve. En attendant, nous serons là pour les soutenir et leur fournir l’aide nécessaire », indique-t-il. En date de mercredi, la Pologne avait ouvert ses portes à plus de 450 000 réfugiés, selon la Polish Press Agency.