Quelques heures seulement après s’être enfuie d’Irpine, en banlieue de Kyiv, Olha Shurova a vu l’édifice qu’elle habite depuis 15 ans s’effondrer sous les missiles russes sur un écran de télé.
« Je suis partie juste à temps », dit la jeune femme d’une voix douce et posée.
« J’étais à la fois choquée et soulagée. C’est bizarre de ressentir tout ça en même temps. » Chaque jour depuis près d’une semaine, elle bascule entre l’espoir et la peur.
Elle a quitté son appartement en trombe – un petit sac dans la main, son chat Fox sous le bras – pour se rendre à Kyiv chez des proches. « J’habite près d’un aéroport militaire, donc c’était déjà mieux. »
Accompagnée de son mari et de ses parents, la musicienne et professeure de français s’est retrouvée au milieu d’une capitale méconnaissable.
À leur sortie, des rues vides de civils, mais remplies de militaires. Les rares citoyens sont armés, les bâtiments sont réduits à néant, et le sol est jonché de fils électriques tordus.
À Kyiv, nous sommes restés dans un sous-sol sans sortir. On entendait des explosions sans arrêt. La porte qui tremble. On a vite compris que c’était trop dangereux.
Olha Shurova, résidante d’Irpine
Elle se trouve depuis mercredi matin à Kropyvnytskyï, « dans un endroit presque sécuritaire », décrit-elle en insistant sur le « presque. »
À 320 kilomètres de la capitale ukrainienne, pas une heure ne passe sans qu’une sirène retentisse. Chaque fois qu’ils l’entendent, Olha et ses proches se précipitent avec de l’eau et des couvertures dans l’« abri ». Un sous-sol glacial et poussiéreux aux murs de briques.
Les alarmes stridentes apportent, certes, leur lot de panique : des passants courent dans tous les sens, d’autres se ruent au supermarché et prennent tout ce qu’ils peuvent, décrit Olha.
« Mais sinon, les gens, ici, sont très calmes. Ils n’ont pas vu ce qu’on a vu à Kyiv. »
Une fois dans le refuge souterrain, on ne sait jamais quand on va ressortir, ajoute-t-elle.
Les menus sacs à dos traînés tout au long du périple sont au pas de la porte, toujours prêts.
On ne peut rien planifier, mais je pense qu’on va quitter cette ville. Ça va devenir de plus en plus risqué. J’ignore où on va aller.
Olha Shurova
Pas question de fuir sa patrie malgré l’instabilité et le danger, tranche l’artiste de 33 ans dans un français impeccable. Peut-être enverra-t-elle ses parents en Pologne, poursuit-elle, évasive. Mais son mari et elle ne partiront pas. « Nous sommes plus utiles ici. Par exemple, je traduis des documents en français pour les médias locaux. »
Il y a la mobilisation, mais aussi la certitude de jours meilleurs. « Nous allons gagner très vite, il n’y a pas de doute. Nous, les Ukrainiens, sommes tous hyper motivés, unis et bien organisés. Et nous sommes sur notre terre. »
Kharkiv sous pression
À la tombée de la nuit, mercredi, Andrii Rudenko attendait toujours son train à Kharviv dans l’espoir de quitter la ville. « Je ne voulais pas fuir, mais ma copine m’a dit qu’elle ne partirait pas sans moi. »
Ils se rendront à Lviv, près de la frontière polonaise. « Si tout va bien », ajoute le jeune architecte.
Les bombes ont touché la majeure partie de la deuxième ville du pays située à 50 km de la frontière russe. Pratiquement aucun secteur n’a été épargné, frissonne Andrii.
La ville est vide, laisse-t-il tomber. L’accès aux vivres et à l’eau est limité. Quand l’écho des coups de feu l’a fait sursauter plus tôt en matinée, il a pris la décision de fuir.
Je ne croyais jamais quitter ma ville, mais je dois me rendre à l’évidence : c’est dangereux. Je suis trop en colère pour être triste ou avoir peur.
Andrii Rudenko, résidant de Kharkiv
« Il y a des parties de la ville qui sont juste effacées. Ça ne sera plus jamais pareil pour Kharkiv. »
Kharkiv, ville de 1,4 million d’habitants proche de la frontière avec la Russie, a été la cible de bombardements, mardi, qui ont fait au moins 10 morts et plus de 20 blessés, selon les autorités locales.
Calme relatif à Kyiv
Universités, stations de télévision, épiceries : à Kyiv, de nombreux bâtiments ont été ravagés par les bombes ces derniers jours, soupire Oles Sharyi, photographe originaire de la capitale.
Il n’a pas quitté la salle de bains de son appartement depuis le début de l’offensive russe. « Je dors dans la baignoire. J’ai encore de la nourriture et de l’eau pour les quatre prochains jours. Après, je vais devoir sortir… »
L’immeuble qui l’abrite date de l’ère soviétique. Les toilettes se trouvent au fin fond du petit appartement.
Je suis protégé par deux murs très solides. Je ne suis pas totalement en sécurité, mais je pense survivre.
Oles Sharyi, résidant de Kyiv
Il préfère ça à un sous-sol inhospitalier sans ventilation.
La peur a laissé place à l’adrénaline. Puis jour après jour, il s’est habitué aux sirènes. « C’est plus calme aujourd’hui. Seulement deux explosions. Les premiers jours, c’était une dizaine. »
Pourquoi rester ? « Je ne peux pas l’expliquer, mais je sais qu’on va gagner. »
Se déplacer n’est pas si simple, ajoute-t-il. Plus les jours avancent, plus les militaires russes compliqueront la tâche de ceux qui veulent fuir. « Je ne suis pas un expert, mais c’est un conflit imprévisible. Ils peuvent bombarder les trains et les ponts. Je pense que dans ma baignoire, je ne suis pas plus en danger que ceux qui essayent de partir. »
Le métro de Kyiv, ultime refuge pour une population sous les missiles