Avec la maîtrise grandissante des Russes sur les aéroports et l’espace aérien de l’Ukraine, la Pologne devient la plaque tournante de l’acheminement, par voie terrestre, des armes et du matériel militaire destinés à l’armée et aux résistants ukrainiens.

« La Pologne et l’Ukraine ont une frontière de près de 550 kilomètres. Alors, le passage est facile. Sans vouloir vous le confirmer, il me paraît logique que le matériel promis à l’Ukraine arrive par l’ouest du pays, en provenance des routes polonaises », indique en entrevue Michael Boire, major à la retraite et professeur spécialiste de la guerre en milieu urbain au Collège militaire royal du Canada, à Kingston.

Dimanche, Josep Borrell, chef de la politique étrangère de l’Union européenne (UE), a déclaré à des médias que la Pologne avait accepté d’être la plaque tournante pour la distribution d’armes et d’équipements vers son voisin ukrainien. Les ministres de la Défense de l’UE doivent discuter sous peu du détail de cette action.

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Josep Borrell, chef de la politique étrangère de l’Union européenne

Rappelons que dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, jeudi dernier, une flopée de pays occidentaux ont promis l’acheminement de matériel supplémentaire. Les États-Unis mènent le bal avec un engagement d’une valeur de 350 millions US. L’UE évoque un effort de 450 millions d’euros, ajoutant que des États membres sont prêts à fournir des avions de combat.

Le Canada, qui chiffre son engagement à 25 millions CAN, a promis des armes et plus d’équipement de protection tel que casques et gilets pare-balles. Au ministère de la Défense nationale du Canada, on reconnaît en termes très génériques l’envoi prochain d’équipement militaire à l’Ukraine.

« Les Forces armées canadiennes peuvent confirmer que des vols transportant de l’équipement militaire létal et non létal partiront dans les prochains jours pour fournir un soutien supplémentaire à l’Ukraine, comme l’a annoncé récemment le gouvernement du Canada, nous a-t-on indiqué par courriel. Nous travaillons assidûment avec nos autres partenaires gouvernementaux pour nous assurer que ce soutien indispensable arrive là où il est nécessaire le plus rapidement possible. »

Entre théorie et réalité

Dans une entrevue accordée lundi au journal 20 minutes, le général français Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences Po et à HEC Paris, a soutenu qu’il y avait une marge entre le fait de désigner une plaque tournante pour l’acheminement du matériel et la réalité.

La question de la logistique, c’est un problème majeur. Il faut que les armes arrivent dans des camions, probablement ceux de l’OTAN, jusqu’en Pologne, qu’elles soient déchargées, puis chargées dans des camions ukrainiens. Les Russes suivent ça de près et pourraient attaquer ces camions sur le sol ukrainien.

Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences Po et à HEC Paris, dans une entrevue au journal 20 minutes

Selon le Financial Times, les opérations de livraison doivent tenir compte du fait que les camions risquent d’être des cibles faciles et qu’il faudra faire preuve d’imagination pour confondre l’envahisseur russe.

« Les camions devront éviter de rouler en convoi, pare-chocs à pare-chocs, et se déplacer à des rythmes variés afin d’être difficiles à retracer et à attaquer, lit-on dans ce texte. Ils devront aussi transporter des armes telles que des missiles Stinger et des mitrailleurs à barils multiples pour contrer les attaques des avions russes. »

L’Ukraine partage sa frontière avec d’autres pays, dont la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Des trois, la Hongrie a déjà fait savoir qu’elle refusait d’être un point de transition pour l’armement occidental vers l’Ukraine. « Nous n’autoriserons pas le transfert d’armes létales par le territoire hongrois », a déclaré le ministre des Affaires étrangères de la Hongrie, Péter Szijjártó, sur Facebook. « Ces livraisons peuvent facilement devenir des cibles d’attaque militaire. »

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Péter Szijjártó, ministre des Affaires étrangères de la Hongrie

Le pays a toutefois ouvert sa frontière pour accueillir des réfugiés ukrainiens. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que 85 000 personnes ont été accueillies par les Hongrois depuis le début des hostilités.

En Roumanie, les États-Unis ont récemment accentué leur présence à la base militaire Mihail-Kogălniceanu, située près de la frontière avec la Bulgarie, et y auraient acheminé, en 3 convois, 48 remorques remplies d’équipement militaire.

Ce matériel n’est pas nécessairement destiné à l’Ukraine. Par ce geste, l’OTAN tente surtout de solidifier son flanc le plus à l’est, en bordure de la mer Noire, où la présence navale russe est dominante.

Efficaces ou non ?

Toutes ces récentes annonces concernant l’envoi de matériel à l’Ukraine changeront-elles quelque chose au conflit ? Pas certain.

« Nous n’avons pas encore tout vu, dit Michael Boire. La rencontre des délégations russe et ukrainienne à la frontière de la Biélorussie permet aux Russes de faire une pause logistique. » Selon lui, les frappes russes peuvent être beaucoup plus lourdes que celles vues jusqu’à maintenant.

Selon Julian Spencer-Churchill, professeur adjoint au département de science politique de l’Université Concordia, les équipements envoyés feront peu de dégâts. « Ça représente moins de 1 % de pertes chez l’ennemi, dit-il. L’artillerie, l’aviation font nettement plus de victimes. »

Avec l’Agence France-Presse, 20 minutes, Financial Times