L’étau se resserre sur les médias russes. Quatre câblodistributeurs canadiens ont lâché le canal RT, financé par l’État russe. Les organismes réglementaires de plusieurs pays occidentaux l’ont interdit des ondes, et plusieurs journalistes ont démissionné de RT et de Sputnik, une agence de nouvelles en ligne.

« Je quitte Sputnik par loyauté pour l’Occident, parce que je suis choqué par l’intervention militaire russe en Ukraine », a expliqué depuis Mexico, où il vit, le journaliste et essayiste québécois Jérôme Blanchet-Gravel. « Ce n’était que l’un de mes clients. Mais il ne faut pas penser que les gens qui travaillent à temps plein pour les médias russes soutiennent l’invasion de l’Ukraine. »

M. Blanchet-Gravel a notamment publié sur Sputnik des articles favorables à l’occupation d’Ottawa par les camionneurs, ainsi qu’un article soulignant l’importance de l’électorat d’origine ukrainienne au Canada.

Rogers et Bell ont annoncé dimanche qu’ils retiraient RT de leur grille, tout comme Telus et Shaw lundi. Vidéotron n’a jamais offert RT. Vendredi, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a partagé sur Twitter ses « inquiétudes » à propos de RT, et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a déclaré au Devoir que la licence de RT pourrait être réexaminée si elle ne rapporte pas « avec exactitude et impartialité ».

En France, deux animateurs-vedettes, Frédéric Taddeï et Stéphanie de Muru, ont quitté RT France, le premier temporairement, par « loyauté » envers la France, et la seconde définitivement en citant la « ligne rouge » de l’invasion de l’Ukraine. Mme de Muru a toutefois défendu l’objectivité de RT France.

RT a été fondée en 2005 sous le nom de Russia Today et Sputnik, en 2014. RT France est la seule antenne nationale de RT dans l’Union européenne. Au Canada, RT a le statut de chaîne étrangère, comme des dizaines d’autres chaînes.

Dimanche, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que RT et Sputnik seront « bannis » dans l’Union européenne.

Le politologue français Maxime Audinet, auteur du livre Russia Today (RT) : un média d’influence au service de l’État russe, a indiqué à l’AFP que la suspension de la licence de RT France devrait être « motivée par un argument très clair selon lequel RT France n’a pas respecté le contrat pour obtenir cette licence ».

Fox News

Au Canada, il y avait eu des discussions autour de la licence de médias étrangers d’Al-Jazeera, rappelle Daniel Rioux, analyste pour le Centre d’étude sur les médias de l’Université Laval. « Il y a des gens qui ont dit que si on interdit RT, il faut aussi interdire Fox News », indique Colette Brin, directrice du Centre. « Encore récemment, j’ai vu une commentatrice de Fox dire que Fox devrait s’occuper du Canada plutôt que de l’Ukraine. »

Interdire Sputnik au Canada est encore plus problématique, parce que le gouvernement fédéral et le CRTC laissent généralement les sites gérer eux-mêmes la censure en fonction de leurs intérêts commerciaux, dit Mme Brin. C’est d’ailleurs une décision d’affaires qu’ont pris les quatre câblodistributeurs canadiens qui ont lâché RT. Aucun câblodistributeur n’a par exemple envisagé de laisser tomber Fox News, relève Mme Brin.

Pourquoi M. Blanchet-Gravel collaborait-il à Sputnik ? « Pour avoir les deux côtés de la médaille », dit-il.

Jeudi sur la BBC, un ancien ambassadeur des États-Unis en Russie, Michael McFaul, a reproché à l’animateur qui l’interviewait d’avoir précédemment interviewé un député russe du parti de M. Poutine. « C’est comme si la BBC avait interviewé un nazi le 1er septembre 1939 », le début de l’invasion de la Pologne, a dit M. McFaul, qui enseigne maintenant à l’Université Stanford.

Qu’en pense M. Blanchet-Gravel ? « Je trouve que, dans un conflit armé, il faut garder le sens de la diplomatie, il faut continuer à se parler », dit-il.