(Kiev) Reconnaissance de la Crimée en tant que territoire russe, démilitarisation et « dénazification » de l’Ukraine : Vladimir Poutine a posé ses conditions lundi à l’arrêt de l’invasion de ce pays, tandis que de premiers pourparlers russo-ukrainiens ont eu lieu et que les sanctions continuent à pleuvoir sur la Russie, désormais exclue de la Coupe du monde de soccer.  

Moscou est par ailleurs sur le banc des accusés depuis lundi à l’Assemblée générale de l’ONU réunie en « session extraordinaire d’urgence ».

« Les combats en Ukraine doivent cesser », a martelé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. « Trop c’est trop. Les soldats doivent retourner dans leurs casernes ».

La Chine, qui se refuse à condamner la Russie, a elle soutenu que « tout le monde aurait à perdre » d’un retour à « la mentalité de Guerre froide fondée sur la confrontation de blocs ».  

Dans ce contexte, la Turquie a interdit lundi soir le passage des détroits du Bosphore et des Dardanelles à tous les navires de guerre appartenant à des États « riverains ou non de la Mer noire ».

Les délégations russe et ukrainienne qui se rencontraient pour la première fois, en Biélorussie, depuis le début de l’invasion jeudi sont de leur côté rentrées pour « consultations dans leurs capitales » respectives, après avoir convenu vouloir un « deuxième round » de pourparlers.

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On ignorait si cette interruption était liée aux exigences de Vladimir Poutine, exprimées au cours d’un échange avec son homologue français Emmanuel Macron, le président en exercice de l’Union européenne.  

Un règlement « n’est possible que si les intérêts sécuritaires légitimes de la Russie sont pris en compte sans condition », a répété le Kremlin après leur conversation, ajoutant espérer que les négociations « mèneraient aux résultats espérés ».

Emmanuel Macron n’a pas dans l’immédiat commenté ces exigences. L’Élysée a simplement fait savoir que le chef de l’État français avait demandé à M. Poutine l’interruption des frappes contre les civils et la sécurisation des axes routiers en Ukraine. Et assuré que ce dernier avait « confirmé sa volonté de s’engager ».  

Barricades de fortune

Car, sur le terrain, les négociations n’ont pas entraîné de répit dans les combats. La présidence ukrainienne avait annoncé, avant leur ouverture, qu’elle réclamerait « un cessez-le-feu immédiat et le retrait des troupes [russes] du territoire ukrainien ».

Le début des pourparlers a coïncidé avec d’intenses combats pour Kharkiv (nord-est), proche de la frontière russe.  

Au moins 11 personnes ont été tuées dans des bombardements russes sur des quartiers d’habitation, selon le gouverneur régional, qui a dit craindre qu’il n’y ait eu des « dizaines de morts ».

Un photographe de l’AFP a vu les corps sans vie de deux soldats russes devant une école en ruines, non loin du centre de cette ville de 1,4 million d’habitants.  

Dans la capitale Kiev, la situation semblait plus calme lundi, après un week-end sous couvre-feu. Mais beaucoup se préparaient à un nouvel assaut russe.  

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Un cratère causé par les bombardements dans une rue de Kiev

La cité était hérissée de barricades de fortune et des panneaux électroniques publics prévenaient les Russes qu’ils seraient accueillis « par des balles ».

En l’absence jusqu’ici de victoire majeure de l’armée russe, Vladimir Poutine a franchi dimanche un nouveau cap dans la menace d’élargir le conflit, dont beaucoup redoutent qu’il ne devienne le plus grave en Europe depuis 1945.

Il a dit avoir mis en « état spécial d’alerte » les forces nucléaires de la Russie, la puissance qui dispose du plus grand nombre d’ogives nucléaires, face aux « déclarations belliqueuses de l’OTAN » et aux sanctions « illégitimes » imposées à son pays.

Les États-Unis ont toutefois affirmé lundi n’avoir détecté aucun changement « concret » dans la posture nucléaire russe.

Soutenir le rouble

Lundi, le maître du Kremlin a aussi ordonné des mesures-choc pour soutenir le rouble, qui descendait à des planchers historiques face au dollar et à l’euro après l’annonce de nouvelles sanctions économiques européennes et américaines.  

De nombreux Russes commençaient à retirer leur épargne bancaire et les résidants en Russie ne pourront plus, à compter de mardi, transférer des devises hors de ses frontières. Les exportateurs russes devront quant à eux convertir en roubles 80 % de leurs revenus engrangés en monnaies étrangères depuis le 1er janvier.

Auparavant, la Banque centrale de Russie avait annoncé relever à 20 % son taux directeur, face aux nouvelles sanctions annoncées par les Occidentaux qui ont en particulier averti qu’un certain nombre de banques russes seraient exclues du système interbancaire international Swift.

Les États-Unis ont en outre mis en application lundi une sanction d’une sévérité inédite contre la banque centrale russe, qui a pour effet d’« immobiliser tous les actifs » qu’elle « détient aux États-Unis ou qui seraient détenus où que ce soit par des personnes américaines ».

La veille, les ministres européens des Affaires étrangères s’étaient aussi entendus pour bloquer les transactions de cette institution.

La Russie a fermé lundi ses portes aux compagnies aériennes de 36 pays, après que des nations occidentales eurent fermé leur espace aérien aux avions russes.  

L’ensemble des Bourses ont replongé lundi, craignant que le conflit n’alimente la flambée des prix de l’énergie et la reprise de l’inflation, tandis que le cours du blé atteignait un nouveau plus haut historique sur le marché européen.  

Livraisons d’armes

Si les pays européens sont pour la plupart membres de l’Alliance atlantique — qui a annoncé qu’elle n’enverrait pas de troupes en Ukraine —, ils ont aussi annoncé dimanche des mesures inédites de soutien militaire à Kiev : déblocage de 450 millions d’euros pour financer des livraisons d’armes et envoi d’avions de combat.

Après de nombreuses manifestations contre l’invasion russe dans le monde ce week-end, un nouveau rassemblement s’est déroulé lundi en Allemagne : quelque 250 000 personnes ont défilé à Cologne, transformant la parade du traditionnel Carnaval en mobilisation contre la guerre.

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Manifestation à Cologne, en Allemagne

Autre geste fort, la Russie a été exclue de la Coupe du monde de soccer par son organisatrice, la FIFA, qui a annoncé la suspension des sélections nationales et des clubs russes « jusqu’à nouvel ordre ».

Dans ce contexte, le président américain Joe Biden doit à nouveau s’entretenir avec ses alliés pour coordonner leur réponse à l’attaque russe.

Emmanuel Macron doit participer à cette visioconférence, avant de dîner avec le chancelier allemand Olaf Scholz et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

« On part car ça tire » —

Le conflit a jeté sur les routes des flots d’Ukrainiens toujours plus nombreux.  

Depuis le début de l’offensive russe jeudi, plus de 500 000 d’entre eux ont fui vers les pays voisins, a déclaré lundi le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés. L’UE a dit s’attendre à plus de sept millions de personnes déplacées.

La majeure partie se rend en Pologne. Mais Roumanie, Slovaquie et Hongrie — toutes membres de l’OTAN — sont aussi concernées.

Conséquence de cet exode, de longues files de voiture patientent aux points de passage frontaliers avec la Pologne.

« On part car ça tire et on doit se cacher dans des abris, je ne veux pas traumatiser mon enfant car elle a peur », lâche Olga Kovaltchouk, une bibliothécaire, dans la gare de Lviv, une ville de l’ouest de l’Ukraine où l’ambassade de France vient d’être transférée.

Les départs de Russie d’Occidentaux devraient aussi s’accélérer. Les États-Unis ont recommandé lundi à leurs ressortissants d’immédiatement quitter ce pays, après l’Italie et la Belgique.

Le bilan humain de cinq jours de conflit reste incertain.  

L’ONU a parlé lundi de 102 civils tués et de 304 blessés, mais souligné que les chiffres réels étaient « considérablement » plus élevés.

L’Ukraine a fait état lundi de 352 civils tués et 2040 blessés depuis jeudi et affirme que plusieurs milliers de soldats russes ont péri.  

Les Russes, quant à eux, n’ont fourni aucun chiffre.