(Medyka, Pologne ) Ils sont des milliers d’Ukrainiens à passer la frontière polono-ukrainienne tous les jours à Medyka, en Pologne, alors qu’un embouteillage géant de près de 40 km oblige parfois les automobilistes et leurs passagers à laisser leur véhicule et à se joindre au flot de réfugiés n’ayant que leurs pieds pour fuir la guerre.

Au petit matin, alors que le givre trahit de rudes températures nocturnes, la marée humaine semble incessante au plus grand poste frontalier entre la Pologne et l’Ukraine, à Medyka. Des mines exténuées, des exilés qui peinent à marcher et des enfants en pleurs défilent du poste-frontière polonais à la route principale, où ils trouvent à boire, à manger, mais aussi un logement provisoire dans le gymnase municipal.

Hormis le gymnase, toute cette aide repose presque à 100 % sur la bonne volonté des particuliers ayant déposé des objets de première nécessité : couches, lingettes nettoyantes, sucre en sachet, poussettes ou encore vêtements, chaussures et couvertures en abondance.

PHOTO HÉLÈNE BIENVENU, COLLABORATION SPÉCIALE

Près du poste frontalier de Medyka, en Pologne, les réfugiés ukrainiens trouvent nourriture, vêtements et autres objets essentiels.

Irina, 32 ans, fouille justement dans un monticule de vêtements. Cette Ukrainienne, accompagnée de ses deux enfants, Irina et Denis, 5 et 8 ans, a mis 8 heures seulement pour rejoindre la Pologne à pied depuis les environs de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine – le trajet pour quitter sa région natale, l’oblast de Poltava, avait déjà duré plus de 27 heures.

« Nous avons laissé notre voiture du côté ukrainien, car la circulation n’avançait plus. C’était vraiment épuisant de devoir marcher autant avec les enfants », explique la mère, une soupe instantanée dans les mains. Son mari, Andrei, a dû quant à lui attendre de longues heures du côté polonais de la frontière avant de retrouver femme et enfants dans une effusion de joie.

« Je travaille comme charpentier en Pologne. Mon contrat devait finir en mars, et j’avais prévu rejoindre ma famille. Sauf que Vladimir Poutine a décidé d’envahir mon pays le jour de mon anniversaire ! », s’exclame le père de famille. Tous ont dormi dans une auberge à proximité immédiate du poste frontalier. La suite ? Ils ne la connaissent pas. Impossible de se projeter pour Irina, qui se dit encore sous le choc.

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Une femme ayant fui l’Ukraine fouille dans une pile de vêtements donnés par des Polonais, à Medyka

Juste en face, Ismaïl se fait masser une cheville enflée. Ce ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC) dans la vingtaine a fui Kiev, où il étudiait en management, alors que sa ville d’adoption se retrouvait assiégée par les Russes. « Vous allez devoir vous faire examiner à l’hôpital de Przemyśl, car cela pourrait empirer : votre cheville est peut-être fracturée », lui indique un bénévole secouriste.

Jianacée, amie et compatriote de la RDC, qui étudiait elle aussi à Kiev, l’aide à monter dans l’ambulance.

Nous avons fait 24 km à pied en cinq heures environ. On a pris le train, puis le bus, puis on a marché. On a absolument tout laissé sur place, à Kiev. Je ne sais pas quand on récupérera nos affaires, et si on reviendra un jour, en fait…

Jianacée, étudiante à Kiev

Pour Jianacée, arrivée au petit matin à la frontière polonaise, le plus dur dans son odyssée aura été sans aucun doute le tronçon à pied. « Dans la nuit, il y avait des moments où il n’y avait aucun éclairage, et ce n’était pas facile d’avancer. Pour alléger nos sacs, on a pris le moins de provisions possible, ce qui fait qu’on n’avait qu’une bouteille d’eau par personne et peu de nourriture. Heureusement, les habitants des petits villages croisés sur la route nous ont offert du thé chaud et des biscuits », témoigne la femme dans la vingtaine, ajoutant que son « gouvernement a promis qu’on pourrait regagner notre pays. J’espère que ce sera effectivement le cas ».

PHOTO HÉLÈNE BIENVENU, COLLABORATION SPÉCIALE

Des gens offrent parfois de transporter gratuitement les réfugiés jusqu’aux principales villes de Pologne, comme Cracovie ou Varsovie.

Le corps et l’esprit éreintés

Michal Wojciekowski, l’un des premiers bénévoles arrivés sur le site dès jeudi dernier, indique que la file de voitures du côté ukrainien s’étendait déjà sur 40 km trois jours plus tard, dimanche autour de midi. « Les autorités ukrainiennes invoquent des pannes dans leur système informatique, mais je les soupçonne plutôt d’être empêtrées dans leur bureaucratie. Le problème ne se situe pas du côté polonais, en tout cas », précise ce coordinateur de secouristes.

« Nous avons pris en charge ici une quarantaine de réfugiés, la plupart souffraient de problème aux jambes ou aux pieds, ils ont souvent des ampoules ou des blessures. Je crois que le record est détenu par un Congolais qui avait fait 100 km à pied : ces jambes étaient dans un état catastrophique. Seules quelques personnes ont dû être transportées à l’hôpital, et aucun blessé à cause des explosions ou des combats n’est arrivé jusqu’ici. En revanche, les personnes qui arrivent après des heures de marche sont affamées, grelottantes et apeurées », raconte ce gérant d’une entreprise de transport, activité mise en pause depuis la guerre en Ukraine au bénéfice de l’aide aux réfugiés à Medyka.

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Famille venant de traverser la frontière, à Medyka

C’est quand on voit ces femmes pousser deux valises, des enfants sous les bras, qu’on se rend vraiment compte de ce que ça veut dire, une guerre.

Michal Wojciekowski, bénévole

Sur le bord de la route, Samuel Nwafor n’a qu’un petit sac à dos et un sac de sport. Il attend un Polonais qui s’apprête à le transporter gratuitement jusqu’à Varsovie, capitale polonaise, avant de possiblement rejoindre ses proches vivant au Royaume-Uni. « J’ai quitté Lviv tôt ce matin. J’hallucine de pouvoir vous parler à l’instant. Je suis fatigué, certes, mais content d’avoir sauvé ma vie et réconforté par tant de solidarité. J’ai juste besoin de dormir un peu et je vais reprendre le cours de ma vie. »