(Przemyśl (Pologne)) Bonnet enfoncé sur la tête, Oliek se déplace en fauteuil roulant dans la somptueuse gare néo-baroque de Przemyśl, ville de 60 000 habitants dans l’est de la Pologne. Cet Ukrainien dans la trentaine, accompagné de sa mère, vient de débarquer du train de Kiev, capitale de l’Ukraine, comme des dizaines d’autres passagers massés, fatigués et ébranlés, dans le hall d’arrivée.

Oliek a fui la ville de Kharkiv, dans l’Est ukrainien, située à 30 kilomètres de la frontière russe. « Il y a deux jours, les Russes ont commencé à bombarder Kharkiv. Se réfugier dans une cave – ce que presque tout le monde se retrouve actuellement à faire en Ukraine – aurait été un peu difficile étant donné que ma mobilité est réduite. J’ai donc décidé de rassembler quelques affaires à la hâte et je suis parti, d’abord en voiture, puis en train, direction : la Pologne », explique celui qui, à l’instar de près de 30 000 de ses compatriotes, a choisi de s’exiler – temporairement du moins – en Pologne.

« Pour le moment, ma mère et moi allons nous rendre à Varsovie. Ensuite, je ne sais pas encore où nous nous installerons. Un jour à la fois… », continue Oliek, qui précise avoir « tout perdu » au pays, à commencer par sa maison.

Je ne sais pas si je reviendrai un jour en Ukraine. L’histoire se répète ; c’est comme la Seconde Guerre mondiale lorsque Hitler a attaqué la Pologne. Sauf que, cette fois, Hitler s’appelle Vladimir Poutine.

Oliek, qui a fui Kharkiv

Difficile de se frayer un chemin dans le hall, entre les nouveaux arrivants et tous ceux qui, en Pologne, ont décidé de leur venir en aide. À l’instar de Maciej Duda, professeur de danse de 29 ans, qui vit à Cracovie et tient une pancarte où il a justement griffonné le nom de sa ville. « Jamais je n’aurais pensé qu’il y aurait un jour une guerre si près de chez moi… Je connais tellement d’Ukrainiens fantastiques, je hais la guerre, et la moindre des choses que je puisse faire, en tant que Polonais, c’est offrir de transporter des Ukrainiens dans ma voiture. C’est malheureux, mais je dois m’en tenir au transport, car mon appartement est bien trop petit pour accueillir qui que ce soit », semble s’excuser le vingtenaire, les larmes aux yeux.

« Qui veut aller à Varsovie ? J’ai de la place pour neuf personnes ! », annonce, gaillard, un autre Polonais dans la foule.

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Ukrainiens arrivant à la gare de Przemyśl, vendredi

Nourriture, logements, emplois

Depuis jeudi, l’aide afflue dans la gare de Przemyśl, l’un des principaux carrefours ferroviaires desservant l’Ukraine depuis la Pologne. En plus de la police et de la sécurité ferroviaire, des secours médicaux ont été mobilisés sur place, sans compter tous les bénévoles servant à manger, à boire, et qui proposent volontiers un peu de réconfort à ceux qui, parfois, n’ont même pas eu le temps de prendre leur passeport.

Sur ce point, les autorités polonaises ont assuré de leur clémence : même ceux dépourvus de ce précieux « laissez-passer », habituellement requis par les Ukrainiens pour entrer sur le territoire polonais, peuvent y accéder sans difficulté et entamer une procédure d’asile, en Pologne, le cas échéant.

PHOTO WOJTEK RADWANSKI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un soldat polonais sert de la soupe à des réfugiés ukrainiens, dans la gare de Przemyśl.

De nombreuses agences de recrutement ont, elles aussi, fait le déplacement et offrent volontiers emploi et logement à des dizaines d’Ukrainiens ou, plutôt, d’Ukrainiennes, comme le précise Pawel Jamro, à la tête de l’agence Urban Recruitment, rencontré plus tôt dans la journée de vendredi, à la gare de Przemyśl. « Nous sommes en mesure d’offrir des emplois un peu moins physiques et plus accessibles pour des femmes ne parlant pas polonais. Par exemple, nos recrutons des Ukrainiennes pour mettre les surprises dans les Kinder Surprise, dans une usine polonaise, puis bientôt, les emplois dans l’agriculture vont commencer, et les besoins y sont importants. »

En effet, depuis que la conscription militaire a été imposée par le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, jeudi au soir, seuls les femmes et enfants sont désormais autorisés à franchir la frontière ukrainienne. Les hommes, sauf ceux vivant avec un handicap majeur, sont priés de se rendre disponibles pour combattre l’attaquant russe.

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Ielisaveta patiente sur un banc avant de quitter la gare de Przemyśl avec sa mère et sa grand-mère.

À la gare de Przemyśl, vendredi, on croisait donc majoritairement des femmes et leurs enfants. Comme Ielisaveta, quatre ans et demi, qui agrémente fièrement d’autocollants un album flambant neuf, avec l’aide de sa grand-mère. Halina Litvin Orestivna, mère d’Ielisaveta, qui travaille dans l’ouest de la Pologne, est venue les chercher à la frontière terrestre quelques heures plus tôt.

« Je pensais faire venir ma fille l’an prochain en Pologne, mais Vladimir Poutine en a décidé autrement. Je n’aurais jamais cru qu’il bombarderait l’ouest de l’Ukraine. Résultat : nous allons devoir tout recommencer à zéro, en Pologne », témoigne Halina Litvin Orestivna. « Je n’ai rien dit à ma fille à propos de la guerre, je lui ai juste raconté qu’il était temps qu’on se retrouve, elle et moi, car on ne s’était pas vues depuis décembre ! souffle-t-elle. J’espère revenir au printemps en Ukraine, enfin, si le calme revient d’ici là, bien sûr… »