(Berlin) L’Allemagne a fini par céder mardi en suspendant le gazoduc Nord Stream II à la suite de la reconnaissance par Moscou de provinces ukrainiennes prorusses, un projet phare pour Berlin comme pour Vladimir Poutine longtemps mené malgré les critiques.

Le coup d’arrêt, peut-être définitif, à ce chantier pharaonique a été donné par le chancelier allemand lui-même.

Olaf Scholz a annoncé la suspension de la certification du gazoduc, indispensable à « sa mise en service ». Le projet va faire l’objet d’une « réévaluation » politique par le ministère de l’Économie en raison de la « situation géopolitique » nouvelle.

Le gazoduc, dont la construction est achevée depuis l’automne dernier, n’était de toute façon pas en service en raison d’un blocage juridique de la part du régulateur énergétique allemand : il ne respecte pas encore la législation européenne et allemande du secteur.

Mais la décision annoncée mardi va plus loin.

Réaction goguenarde

Le gouvernement allemand a retiré un avis « politique » favorable qu’il avait émis jusqu’ici concernant le gazoduc et concluant à l’absence de risque de « sécurité » nationale représenté par le projet. Ce point va être réexaminé.

L’annonce allemande a suscité une réaction goguenarde de l’ancien président russe Dmitri Medvedev : « Bienvenue dans un monde nouveau, où les Européens vont bientôt payer 2000 euros pour 1000 m3 de gaz », une somme potentiellement colossale pour l’Allemagne, qui a importé en 2020 à elle seule 56,3 milliards de m3 de gaz russe, soit 55 % de ses besoins en gaz.

La Maison-Blanche a elle « salué », par la voix de la porte-parole Jen Psaki, cette suspension alors que la présidente de la Commission européenne a estimé que le gouvernement allemand avait eu « raison ».

« Cette crise montre encore une fois que l’Europe est encore trop dépendante du gaz russe, nous devons diversifier nos fournisseurs et passer aux énergies renouvelables », a ajouté Ursula von der Leyen.

Nord Stream 2 est décidément un projet maudit, au cœur de batailles géopolitique et économique depuis sa conception.

Durant plusieurs années, le projet a opposé les États-Unis et l’Allemagne, principal promoteur du projet, mais aussi les Européens entre eux, ainsi que la Russie et l’Ukraine.

Nord Stream 2 relie la Russie à l’Allemagne via un tube de 1230 kilomètres sous la mer Baltique d’une capacité de 55 milliards de m3 de gaz par an, sur le même parcours que son jumeau Nord Stream 1, opérationnel depuis 2012.

Il était censé doubler l’apport en gaz russe à l’Allemagne, qui a cependant prudemment commencé à diversifier ces dernières années ses sources d’approvisionnement.

Promu par le géant russe Gazprom, le projet, estimé à plus de 10 milliards d’euros, a été cofinancé par cinq groupes européens du secteur de l’énergie (OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper et Shell).

L’Allemagne est au sein de l’UE le principal promoteur du gazoduc qui, selon elle, l’aidera à accomplir la transition énergétique dans laquelle elle s’est engagée. Tout en faisant de son territoire un hub gazier européen.

Mais les opposants au projet ont été nombreux.

L’Ukraine au premier chef craignait de perdre les revenus qu’elle tire du transit du gaz russe et d’être plus vulnérable vis-à-vis de Moscou.  

Les États-Unis sont, eux, depuis le début vent debout contre un aménagement qui risquait d’affaiblir économiquement et stratégiquement l’Ukraine, d’augmenter la dépendance de l’UE au gaz russe et de dissuader les Européens d’acheter le gaz de schiste que les Américains espèrent leur vendre.

Revirement inattendu

Plusieurs sociétés, en raison de menaces de sanctions américaines, se sont d’ailleurs retirées du projet, notamment du côté des assureurs couvrant le chantier.

Après plusieurs semaines d’intenses négociations, les États-Unis, soucieux de ménager l’allié allemand, avaient finalement annoncé à l’été 2021 un accord avec Berlin pour clore leur dispute.

Les Européens sont eux divisés, la Pologne ou les pays Baltes s’inquiétant de voir l’UE plier devant les ambitions russes.

Même en Allemagne, Nord Stream 2 n’a jamais fait l’unanimité : les Verts s’y sont longtemps opposés, avant de mettre de l’eau dans leur vin depuis leur entrée au gouvernement.