(Londres) Un blogueur pakistanais critique envers les autorités de son pays a accusé celles-ci d’avoir été derrière le projet d’assassinat dont il a été la cible, pour lequel un Britannique de 31 ans a été déclaré coupable vendredi à Londres.

La peine de l’accusé sera prononcée le 11 mars par le tribunal de Kingston Upon Thames (sud-ouest de Londres).

Originaire de l’est de Londres, Muhammed Gohir Khan avait été arrêté et inculpé en juin 2021 pour conspiration entre le 16 février et le 24 juin en vue d’assassiner Ahmad Waqass Goraya, blogueur critique envers les autorités pakistanaises.

Ahmad Waqass Goraya a confié à l’AFP avoir des « sentiments mitigés » après le verdict du jury : il s’est dit « heureux qu’il y ait au moins un nouveau précédent : si vous pourchassez quelqu’un en exil, vous serez poursuivi ».

« Mais j’espère que les véritables personnes qui ont envoyé ces types seront également poursuivies un jour », a-t-il ajouté.  

Mettant en avant le montant de la récompense promise, ainsi que le fait que sa photo et son adresse aux Pays-Bas, pourtant gardées secrètes, aient été envoyées, il s’est dit « sûr que c’est l’État pakistanais ». « C’est les agences de renseignement », « l’armée », a-t-il accusé.

Le militant s’est dit déterminé à poursuivre sa deuxième vie et à continuer de s’exprimer, malgré les menaces qui l’ont forcé à déménager soudainement : « je ne me décourage pas ».

« Jugement de référence »

La procureure Alison Morgan a affirmé lors des audiences que l’accusé s’était vu offrir 100 000 livres (171 000 dollars canadiens) pour tuer le blogueur.

Il s’était rendu en juin 2021 à Rotterdam (ville néerlandaise, située en province de Hollande-Méridionale), où vit sa cible, pour acheter un couteau et tenter de le localiser, avait-elle ajouté, images de surveillance et transcriptions d’échanges sur la messagerie cryptée Signal à l’appui.

Mais M. Goraya n’était pas chez lui et M. Khan avait rebroussé chemin. Il avait été arrêté à son retour à Londres des Pays-Bas.

M. Khan avait plaidé non coupable. Il avait affirmé qu’il voulait toucher l’argent car il était endetté de 200 000 livres (342 000 dollars canadiens) et ne pouvait payer ses créanciers avec son emploi de livreur pour un supermarché, mais qu’il n’avait jamais eu l’intention de passer à l’acte.  

Muhammed Gohir Khan a été engagé par « d’autres personnes qui semblaient être basées au Pakistan », avait déclaré la procureure.

En 2018, M. Goraya avait « reçu des informations du FBI selon lesquelles il figurait sur une liste de personnes à abattre », avait-elle ajouté. « Certaines menaces qu’il a reçues provenaient de trolls de l’internet, mais d’autres étaient selon lui dirigées et orchestrées par l’ISI », l’agence de renseignement pakistanaise.

Fin janvier 2017, le militant avait été libéré après plusieurs semaines de rétention arbitraire au Pakistan et s’était empressé de retourner aux Pays-Bas où il vit avec sa femme et ses deux enfants.

Reporters sans frontières (RSF) a estimé que ce verdict « pourrait servir de jugement de référence » et constitue « une avancée rare vers la responsabilité pénale pour les crimes transnationaux contre les journalistes ».

« Nous appelons les autorités compétentes à poursuivre leurs investigations pour identifier l’intermédiaire et toute autre personne impliquée dans cet horrible complot pour s’assurer que la justice aille à son terme », a déclaré à l’AFP la directrice de RSF à Londres Rebecca Vincent.

Dans un communiqué diffusé après le verdict, la police de Londres a précisé que l’enquête pour retrouver cet intermédiaire « se poursuit » et exhorté quiconque aurait des informations à son sujet à se manifester.

Au moins quatre autres militants avaient disparu à la même période, dans des circonstances laissant envisager une implication des services de l’État, qui ont un lourd passé en matière de disparitions forcées, selon Human Rights Watch, des opposants et des militants pakistanais.

Les autorités avaient démenti toute implication dans les disparitions.