Bohdan Stasiuk a repéré lundi l’abri antiaérien le plus proche de son domicile de Kropyvnytskyï, dans le centre de l’Ukraine. Dimanche soir, sa femme a téléchargé une liste pour préparer un sac d’urgence : documents officiels, vêtements chauds, nourriture pour le couple et leur enfant de 5 ans.

« La tension est un peu plus élevée, maintenant, les médias sont remplis de nouvelles concernant une possible agression », témoigne l’universitaire de 39 ans, avant de se reprendre. « Une continuation de l’agression russe en Ukraine », corrige-t-il, faisant référence au conflit de 2014. La Russie avait alors annexé la Crimée, et une guerre avait éclaté dans l’est de l’Ukraine avec des séparatistes prorusses.

Les yeux sont rivés sur le bras de fer entre l’Occident et la Russie, qui a massé des troupes le long de ses frontières avec l’Ukraine, suscitant les craintes d’une nouvelle escalade. Jusqu’à 8500 militaires américains sont en état d’alerte et pourraient être déployés avec les troupes de l’OTAN en cas d’invasion russe.

Préparation

Il y a un peu plus d’un mois, lorsque la Russie avait déployé quelque 100 000 soldats aux frontières ukrainiennes, La Presse s’était entretenue avec M. Stasiuk. Il se disait alors inquiet, mais restait sceptique sur les risques réels d’une offensive.

Maintenant, il se prépare, sans plus savoir que penser. « Personne n’est sûr de rien, beaucoup de gens pensent qu’il s’agit d’une démonstration de force entre la Russie et les nations occidentales », analyse-t-il.

Les deux côtés ne veulent peut-être pas d’escalade. Mais ils ne veulent pas reculer non plus.

Bohdan Stasiuk, résidant de Kropyvnytskyï

Les Ukrainiens s’échangent ces jours-ci des informations pour se préparer dans l’optique d’une guerre à grande échelle. Un document publié par différents organes gouvernementaux et organismes circule en ligne pour informer la population sur le contenu optimal d’un sac d’urgence et la façon de s’abriter en cas de tirs, notamment.

« Je suis très anxieuse », confie Eugenia Kifenko. La jeune femme de 26 ans étudie dans la capitale du pays, Kiev. « Je pense que les gens autour de moi ont commencé à avoir peur en voyant ces procédures de préparation, et j’ai été comme surprise de penser que ça pourrait être ma réalité, maintenant », ajoute-t-elle.

PHOTO ALEXANDER ERMOCHENKO, REUTERS

Un piéton marche sur une place près d’une bannière affichant le slogan « Nous sommes le Donbass russe ! » dans la ville de Donetsk, tenue par les rebelles, en Ukraine.

Défense

Volodymyr Kuznietsov vit à Sievierodonetsk, à une trentaine de kilomètres de la ligne de front de la région du Donbass, où sont stationnées des troupes russes. Des accords entre les séparatistes prorusses et l’Ukraine ont mis fin aux affrontements en 2015, sans conduire à une paix véritable. Il raconte entendre des tirs sporadiques depuis. Mais, ces derniers temps, il remarque le silence.

« En fait, c’est plus calme sur la ligne de front maintenant, observe l’ingénieur de 40 ans. On entend beaucoup moins de coups de feu et de barrages d’artillerie ces derniers mois. »

Il a l’habitude de voir les militaires ukrainiens dans sa ville. « Nous n’en voyons pas plus qu’à l’habitude », dit-il.

Dans un sens, c’est presque inquiétant, à se demander si le gouvernement se prépare pour la situation, parce qu’on ne voit pas de changement décelable. Mais il semble qu’il n’y ait pas de mouvements des forces russes non plus.

Volodymyr Kuznietsov, résidant de Sievierodonetsk

Des civils se sont portés volontaires pour intégrer les groupes de défense territoriale, des unités mises sur place pour soutenir l’armée ukrainienne.

Andriy Lyubka s’est inscrit auprès d’un comité de sa ville d’Oujhorod, dans l’ouest du pays, pour prêter main-forte en cas d’invasion, même s’il n’a jamais combattu. « Si j’ai la possibilité, je serais très content d’être entraîné, parce que je pense que c’est important », note l’auteur de 34 ans.

Différents médias ont publié des reportages sur l’entraînement des civils. M. Lyubka dit ne pas avoir reçu de nouvelles encore pour une possible formation.

Contrecoups

Sa ville est située près de la frontière avec la Slovaquie, loin des zones limitrophes avec la Russie. Pourtant, il s’inquiète. « Depuis deux semaines, c’est devenu un sujet majeur, même dans les endroits plus sûrs de l’Ukraine, souligne-t-il. Je suis les nouvelles toutes les 10 minutes, j’ai peur pour ma famille et ma petite fille. » Sa femme a d’ailleurs fait des provisions de purées pour leur fillette de 1 an.

Loin du front, il craint surtout les contrecoups d’une guerre pour ses proches : les infrastructures détruites, les pénuries de nourriture, de médicaments, d’essence.

L’attention internationale autour de l’Ukraine rassure quelque peu les Ukrainiens.

« La plus grande différence [entre 2014] et aujourd’hui, c’est qu’il y a plus de nations qui prêtent attention », note M. Stasiuk.