(Paris) En déclarant vouloir « emmerder » les non-vaccinés, dans une entrevue mardi soir, Emmanuel Macron a renoué avec les « petites phrases » estime jeudi matin la presse dubitative, un « dérapage contrôlé » qui tient de la stratégie électorale, mais pourrait le placer sur un terrain miné.

Sourcils froncés, poings serrés, prêt au combat en une du Parisien, la figure présidentielle s’étale sur tous les titres jeudi matin. « Une entrée en campagne fracassante pour le presque candidat Macron », annonce le journal qui a recueilli mardi soir l’interview polémique.

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie », avait clamé le chef de l’État dans cet entretien. « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen », a-t-il ajouté.

« Malaise démocratique », titre l’éditorialiste Vincent Trémolet de Villers pour Le Figaro, regrettant la « provocation toute trumpienne » du président, « mise à l’index publique et humiliante d’une catégorie de Français qui n’enfreignent aucune loi ».

« Emmanuel Macron n’exempte pas seulement son gouvernement de tous ses manques (absence d’une véritable politique de l’hôpital, bureaucratie sanitaire tatillonne, incapacité à imposer le vaccin aux personnes à risques), il installe, volontairement, dans l’espoir d’en tirer un profit politique, le malsain “eux et nous” que l’on reproche au populisme », juge l’éditorialiste.

« Populiste à tout vax » accuse en écho la une de Libération, sous une photo dynamique du président, qui semble prêt à la répartie sur fond bleu marine.

« En faisant mine de présenter sa stratégie sanitaire, il a révélé essentiellement sa stratégie électorale, qui sera de “foutre la merde partout”, comme le recommandait […] Steve Bannon », ex-proche de Donald Trump, assène Dov Alfon dans l’édito du quotidien de gauche, regrettant que le président ait adopté « le langage et la rhétorique » du candidat Zemmour.

« Vacciné et irresponsable »

« Une fois encore, la difficile gestion de la crise sanitaire se retrouve otage des calculs d’un président en précampagne », soupire Laurent Mouloud dans les colonnes de L’Humanité.

Le président « ferait mieux de s’atteler avec la même gourmandise à favoriser l’accès » aux vaccins, ajoute-t-il. « Quelque 4 milliards de non-vaccinés attendent toujours que les multinationales pharmaceutiques acceptent une levée des brevets. Levée des brevets qu’Emmanuel Macron ne s’est jamais “emmerdé” à demander ».

La presse régionale en est sûre, la sortie du président n’avait rien d’un dérapage. « Comment imaginer une bourde dans une interview relue par l’Élysée ? Impossible », note ainsi un article du journal Midi Libre, qui propose sous une photo d’Emmanuel Macron, index sur la bouche, des réactions de « soignants dubitatifs ».

Pour Julien Lecuyer de La Voix du Nord, Emmanuel Macron a fait « le pari de la descente dans l’arène », en « formulant une quasi-déclaration de guerre prompte à radicaliser ses opposants ».

Il a « choisi de sortir de son rôle et de prendre une posture de candidat, sans se déclarer tout en le faisant bien comprendre », décrypte Bertrand Meinnel pour le Courrier Picard. Une « formule navrante » et « volontairement clivante » qui pourrait bien s’avérer « contre-productive », poursuit l’éditorialiste. « Dévoiler la face mesquine de sa politique ne fera pas plus avancer la lutte contre l’épidémie que l’agitation à l’Assemblée ».

« Il discrédite toute tentative de contestation ou de débat. C’est politiquement du grand art. Mais c’est démocratiquement dangereux », ajoute Samuel Petit dans Le Télégramme.

« On peut être vacciné et irresponsable, Emmanuel Macron vient de le prouver », conclut malicieusement Dov Alfon dans Libération.