Après 200 jours de fermeture, musées, terrasses, cinémas et commerces non essentiels rouvrent ce mercredi tandis que le couvre-feu passe de 19 h à 21 h en France. À quelques heures du jour J, La Presse a tâté le pouls des Parisiens.

(Paris) « Même s’il pleut, j’y serai avec mon parapluie. »

Isabelle Rollot n’a que faire du mauvais temps annoncé. Ce soir, rien ne l’empêchera d’aller manger et boire un verre en terrasse avec ses copines. Elle avait tellement peur de ne pas avoir de place qu’elle a même retenu une table à l’avance.

« Dès qu’ils ont annoncé que ça rouvrait, j’ai réservé sur l’internet », raconte cette infirmière, qui vit dans le 13e arrondissement de Paris.

Ce « happy hour » n’aura décidément rien d’ordinaire. Car ce mercredi est le premier jour du déconfinement en France.

Après sept mois de fermeture, les restos et les bistrots vont reprendre le service à l’extérieur, tandis que les musées, les cinémas et les commerces non essentiels, fermés dans certains cas depuis la fin du mois d’octobre, rouvriront leurs portes.

Dans l’Hexagone, c’est un grand soulagement. Mais les règles seront strictes. Les autorités ont établi un protocole sanitaire bien défini, avec des jauges d’accueil de 50 % pour les cafés et de 35 % pour les cinémas et les théâtres. Les musées, eux, seront limités à une personne pour huit mètres carrés. Ces restrictions devraient progressivement s’assouplir le 9 juin, puis être complètement levées le 30 juin.

« Les clients en ont marre »

Certains diront qu’il est prématuré de rouvrir ainsi. La France compte encore 4000 patients en service de réanimation et 17 000 cas par jour.

Mais comme le fait remarquer la psychosociologue Josette Halégoi, qui cosigne le livre Une vie de zinc sur le phénomène des bistrots français : « Je crois que le gouvernement a compris que ce n’était plus possible de ne pas se réunir. Plus possible de ne pas avoir de lien social. »

À Paris, mardi, l’atmosphère est plus étrange que fébrile. Il y a dans l’air une drôle d’ambiance, comme si la ville se réveillait d’un long sommeil, sans trop savoir si elle avait rêvé ou pas.

Bien qu’encore officiellement fermés, plusieurs cafés et bistrots commencent à préparer leur réouverture, en fixant les derniers boulons, en nettoyant les auvents ou en sortant les chaises et les petites tables rondes.

Faute de place, certains établissements ont grugé sur les espaces de stationnement pour étendre leurs terrasses. Une permission que leur accorde exceptionnellement la Ville jusqu’en septembre.

D’autres se contentent du trottoir. C’est le cas du Café français, place de la Bastille, où la petite équipe est en train de réaménager sa terrasse.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

L’équipe du Café français : Florent Petoux, Manon Randriambololona et Nathalie Jin

Ils sont un peu rouillés, avouent-ils. Mais contents de reprendre le collier après tous ces mois de chômage partiel, qui les ont notamment privés de leurs pourboires.

« On se sent comme à la rentrée des classes. On est partagés entre l’excitation de recommencer et la flemme de n’avoir rien fait pendant tous ces mois. Mais je suis contente, je vais enfin pouvoir payer mes dettes », résume Manon Randriambololona en allumant une cigarette.

Même son de cloche au bistrot La Fontaine de Sully, où Stéphane Male repeint le tableau noir qui servira aux menus. « Il était temps. Tu as vu comme c’est triste, Paris, sans ses cafés ? Les clients en ont marre… et nous aussi. »

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Stéphane Male repeint une enseigne pour les menus, au bistrot La Fontaine de Sully.

Tout le monde n’est pas heureux pour autant. Pour Christophe Éric, patron du Séguier, place Saint-Paul, la perspective du déconfinement annonce aussi la fin des aides gouvernementales qui lui ont permis de se tenir à flot pendant sept mois. Il doute de pouvoir survivre à la décrue et confie qu’il rendra son tablier sous peu, « parce que ça s’annonce trop difficile ».

Paris, le grand perdant

Il est vrai qu’en dépit des bonnes nouvelles et d’une amorce de reprise économique, la crise sanitaire laisse le milieu du commerce au détail bien amoché.

Auteur du livre Éloge du magasin, le sociologue Vincent Chabault souligne que la consommation a baissé de 7 % en France à la suite du premier confinement en 2020. Il ne s’attend pas à mieux à la suite de cette seconde pause forcée, surtout pour les secteurs « les plus fortement impactés » comme la culture, le tourisme, les bars et restaurants, de même que les centres commerciaux, qui ont été fermés pendant plus de 5 mois « rien que cette année ».

Selon lui, Paris reste le grand perdant de la crise, avec l’interruption du tourisme et la désertion de nombreux Parisiens pour leurs résidences secondaires. Il prévoit que « l’inoccupation des locaux va se développer » dans la capitale, en particulier dans les quartiers plus centraux, où vivent moins de locaux.

La rue de Rivoli, la rue de Rennes, les Champs-Élysées : ces zones vont être fortement touchées tant que le tourisme international ne sera pas reparti.

Vincent Chabault, sociologue

Malgré l’excitation, c’est donc encore l’incertitude. Si la campagne de vaccination va bon train, avec plus de 20 millions de Français vaccinés au moins une fois, le spectre d’un nouveau rebond épidémique tempère et suscite la prudence.

Au cinéma Majestik de Compiègne, la réouverture s’annonce ainsi très encadrée. Entre jauges, gel, distanciation physique et vidéos explicatives avant les films, les règles seront respectées à la lettre pour éviter d’éventuelles mauvaises surprises.

« C’est difficile de bien se comporter quand on a été enfermés pendant des mois et qu’on veut retrouver un peu de liberté, conclut son programmateur Quentin Delcourt. Mais en même temps, il va falloir que les gens jouent le jeu. Tout le monde est un peu perdu, mais je pense que personne n’a envie d’un troisième confinement. »

En France, 30 % de la population a reçu au moins une dose de vaccin, tandis que 13 % des gens sont complètement vaccinés.