(Madrid) Instrument clé pour lutter contre la pandémie en limitant notamment la liberté de circuler, l’état d’urgence sanitaire sera levé dimanche en Espagne. Une liberté retrouvée pour nombre d’Espagnols, impatients de revoir leurs proches, mais une source d’inquiétude pour les autorités locales.

Mis en place en octobre, l’état d’urgence a permis pendant six mois aux régions, compétentes en matière de santé, d’imposer un couvre-feu ou de boucler leurs frontières sans avoir besoin du feu vert de la justice.

Une fois ce régime d’exception levé à 0 h dans la nuit de samedi à dimanche, de telles mesures ou d’autres comme la limitation du nombre de personnes pouvant se réunir devront être validées par un tribunal.

Le gouvernement « n’a aucune idée de ce que signifie gérer » la crise sanitaire « et refile les problèmes aux régions », s’est plaint jeudi Juan Marin, vice-président d’Andalousie (sud).  

Comme lui, plusieurs responsables régionaux, ainsi que l’opposition de droite, reprochent à l’exécutif du socialiste Pedro Sanchez de ne pas avoir pensé à un plan B pour éviter le chaos juridique de l’automne. Des tribunaux avaient alors invalidé des mesures prises par des régions face à l’explosion des cas avant que l’état d’urgence ne soit approuvé par le Parlement.

Mais pour certains Espagnols, qui n’ont pas pu voir leurs proches vivant dans d’autres régions depuis des mois, la levée de l’état d’urgence sera synonyme de liberté. La compagnie ferroviaire Renfe a déjà enregistré une hausse de 13 % des réservations pour la semaine prochaine.

« J’ai une de ces envies de sortir de Madrid », s’enthousiasmait vendredi Alicia Carbajosa, fonctionnaire de 47 ans, qui a prévu d’aller prochainement voir sa famille en Andalousie pour la première fois cette année.  

« Mesures suffisantes »

La fin de l’état d’urgence ne signifie toutefois pas la fin des restrictions dans l’un des pays les plus touchés en Europe par la pandémie avec près de 79 000 morts et 3,5 millions de cas.  

Soulignant que ce régime d’exception ne pouvait être prolongé indéfiniment, car il limite des libertés fondamentales, la ministre de la Santé Carolina Darias a affirmé mercredi que les régions disposaient des « mesures suffisantes pour continuer à tenir le virus à distance ».

Elles peuvent, par exemple, toujours limiter les horaires ou la capacité d’accueil des bars, des restaurants ou des commerces.  

PHOTO PAUL WHITE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une terrasse fermée d'un restaurant de Madrid, en décembre 2020

Et certaines ont déjà demandé le feu vert de la justice au maintien de strictes restrictions. L’archipel touristique des Baléares a ainsi obtenu jeudi l’autorisation de maintenir un couvre-feu et la limitation à six des réunions privées.

Pour tenter de calmer les régions, le gouvernement leur a en outre permis de faire appel devant le Tribunal suprême, la plus haute juridiction espagnole, si des tribunaux locaux retoquent leurs mesures.

Carolina Darias a mis en avant l’amélioration de la situation épidémiologique et l’avancée de la vaccination pour justifier la levée de l’état d’urgence.  

Dans le pays, 27 % de la population a déjà reçu au moins une dose d’un vaccin et 12 % est entièrement vaccinée alors que le taux d’incidence est d’environ 200 cas pour 100 000 habitants sur 14 jours, bien loin des 473 de la France ou des 305 de l’Allemagne, selon un bilan établi par l’AFP sur la base de données officielles.

Les épidémiologistes estiment que cette amélioration s’explique par la décision de maintenir le bouclage des régions à Pâques, contrairement à ce qui avait été fait à Noël lorsque les Espagnols avaient eu le droit de voyager pendant quelques jours d’une région à l’autre. Le nombre d’infections avait alors explosé.

Situation toujours « instable »

« Avec la hausse des déplacements, il y aura toujours le risque que les cas soient aussi en hausse », met en garde Salvador Macip, professeur en sciences de la santé à l’Université ouverte de Catalogne, selon qui ne plus disposer de l’état d’urgence sanitaire « pourrait s’avérer un problème ».  

« On pense qu’il ne peut plus y avoir de pic d’infections parce que nous vaccinons à un bon rythme », mais la situation reste « instable » et « nous ne pouvons prétendre avoir une vie normale » quand, par exemple, 42 % des lits en soins intensifs dans la région de Madrid sont occupés par des patients COVID-19, ajoute-t-il.