(Paris) Neuf anciens membres de l’extrême gauche italienne, condamnés pour terrorisme en Italie et réfugiés depuis les années 80 en France, ont été présentés jeudi à la justice française qui les a relâchés sous contrôle judiciaire, dans l’attente de l’étude des demandes d’extradition de Rome.

Sept d’entre eux avaient été interpellés mercredi, telle l’ex-brigadiste Marina Petrella, 66 ans, dont le président Nicolas Sarkozy avait refusé en 2008 l’extradition autorisée par la justice française.  

Six anciens membres des Brigades rouges

Deux autres, Luigi Bergamin, ex-membre des Prolétaires armés pour le communisme, âgé de 72 ans, et Raffaele Ventura, ancien membre des Formations communistes combattantes, 71 ans, se sont présentés successivement, jeudi matin, à la cour d’appel de Paris, accompagnés de leurs avocats, selon des sources judiciaires et proches du dossier.

Un dixième Italien, également réclamé par l’Italie, Maurizio Di Marzio, restait en fuite jeudi. La validité du mandat émis contre lui par la justice italienne expire mi-mai, selon ces sources proches du dossier.

Ces neuf sexagénaires ou septuagénaires se sont vus notifier jeudi les mandats d’arrêt italiens par des magistrats de la cour d’appel de Paris.  

Le parquet général de cette cour a indiqué en fin d’après-midi, dans un communiqué, qu’ils avaient tous été relâchés sous contrôle judiciaire strict (interdiction de sortie du territoire, remise des documents d’identité, pointages réguliers) dans l’attente de l’examen de la validité des demandes d’extradition de Rome.

Selon des sources proches du dossier, plusieurs de ces militants ont pu repartir discrètement du palais de Justice de Paris à la mi-journée ou en début d’après-midi.

« Aucun n’a consenti à son extradition », a précisé le ministère public.

Une première audience publique doit se tenir mercredi après-midi devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, mais la procédure pourrait prendre plusieurs mois, au minimum.

Ces anciens militants, parmi lesquels six anciens membres des Brigades rouges, s’étaient réfugiés en France dans les années 1980. Ils y ont refait leur vie tandis que l’Italie les condamnait pour des crimes de sang commis dans les années 1970-80, dites « les années de plomb ».  

Plusieurs contestent être impliqués dans les meurtres de policier, industriel ou officier de gendarmerie pour lesquels ils ont été condamnés.

Plus de 30 ans après, le président Emmanuel Macron a, dans un virage historique, décidé de régler ce litige en favorisant la mise à exécution des demandes d’extradition récemment renouvelées par l’Italie.

« Raviver les plaies »

Ces arrestations ont été saluées à l’unisson par la presse et les autorités italiennes, mais dénoncées en France par les avocats des interpellés et par la Ligue des droits de l’Homme.

Pour la LDH, « s’en prendre à des femmes et des hommes qui vivent dans notre pays depuis plus de 40 ans pour des faits encore plus anciens, jugés en Italie dans des conditions dictées par les contingences de l’époque, ce n’est pas faire acte de justice, c’est raviver des plaies que le temps avait commencé de refermer ».

Des avocats des interpellés ont fustigé une « trahison innommable de la France », et « un reniement de la parole d’État », affirmant que leurs clients relevaient de l’engagement pris en 1985 par le président François Mitterrand de ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé.  

Pour les autorités, la décision de la France s’inscrit au contraire strictement dans la « doctrine Mitterrand » qui excluait les auteurs de crimes de sang.

« Personne ne conteste qu’ils aient refait leur vie, mais il y a des règles de droit qui s’appliquent pour tout le monde », a rétorqué l’avocat de l’État italien dans cette affaire, joint par l’AFP. Pour Me William Julié, « la France et l’Italie sont des États de droit, qui respectent les conventions internationales ».

Depuis 1981, seuls deux décrets d’extradition d’activistes d’extrême gauche italiens ont été signés, sous la présidence de Jacques Chirac : celui de Paolo Persichetti, remis à l’Italie en 2002, et celui de Cesare Battisti en 2004, qui vivait en France depuis 1990, mais avait pris la fuite avant sa remise. Il a finalement été extradé par la Bolivie en 2019.

« Je suis fier de participer à cette décision qui, je l’espère, permettra à l’Italie, après 40 ans, de tourner une page de son histoire maculée de sang et de larmes », a réagi mercredi le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti.  

Entre 1969 et 1980, « 362 personnes ont été tuées par ces terroristes et 4490 blessées », a insisté le ministre de la Justice.

Qui sont les dix Italiens condamnés pour terrorisme que réclame l’Italie ?

Les dix anciens militants d’extrême gauche italiens, dont la France examine leur éventuelle extradition, ont été condamnés en Italie pour des meurtres à caractère terroriste commis dans leur pays de la fin des années 60 au début des années 80.

Ces sept hommes et deux femmes, qui ont refait leur vie en France dans les années 80, ont été laissé libres jeudi sous contrôle judiciaire, le temps que la justice française se prononce sur la validité de la procédure.

Neuf ex-militants, dont cinq des Brigades rouges, sous contrôle judiciaire

. Marina PETRELLA : née à Rome le 23 août 1954, cette ancienne membre des Brigades rouges, condamnée à la perpétuité, était sur le point d’être remise à l’Italie en 2008, mais le président Nicolas Sarkozy avait décidé de ne pas appliquer le décret d’extradition en raison de sa santé très dégradée.

Elle a été condamnée pour le meurtre en décembre 1980 d’un général des carabiniers, Enrico Galavigi, ainsi que pour l’enlèvement d’un magistrat en 1982, une tentative d’homicide la même année contre un vice-préfet de police de Rome, l’enlèvement d’un responsable de la Démocratie chrétienne près de Naples et le meurtre de ses deux gardes du corps, selon une fiche de la police italienne, intitulée « Liste des terroristes de gauche en fuite localisés en France » et rappelant les condamnations des sept personnes arrêtées mercredi.

Résidant à Saint-Denis, au nord de Paris, elle travaille comme assistante sociale dans le XXe arrondissement de la capitale, selon une source proche du dossier.

. Roberta CAPPELLI, née à Rome le 5 octobre 1955. Cette brigadiste a été condamnée à la perpétuité, notamment pour « association à finalité terroriste » et pour sa participation à un « homicide aggravé ». Elle est considérée responsable du meurtre du général Galavigi en 1980, de celui d’un policier, Michele Granato, en novembre 1979 et d’avoir blessé plusieurs autres personnes.

. Sergio TORNAGHI, né à Milan le 24 mars 1958. Cet ex-membre des Brigades rouges, membre de la colonne milanaise dite de Walter Alasia, est accusé d’être impliqué dans le meurtre d’un industriel à Milan, Renato Briano, en novembre 1980. Il a été condamné à la perpétuité pour, entre autres, « participation à une bande armée », « propagande terroriste », « attentat à finalité terroriste ». « Il conteste les accusations d’homicide », a indiqué à l’AFP son avocat Antoine Comte, soulignant que la justice française avait déjà par deux fois émis un avis défavorable à son extradition en 1986 et en 1996.

. Narciso MANENTI, né le 22 novembre 1957 à Telgate, près de Bergame (nord). Membre des « Noyaux armés pour le contre-pouvoir territorial », il a été condamné à la perpétuité pour le meurtre d’un gendarme, Giuseppe Gurrieri, en mars 1979. Réfugié en France, il s’est marié en 1985 avec une Française.

. Giorgio PIETROSTEFANI, né le 10 novembre 1943 à L’Aquila (Abruzzes, centre). Cet ancien dirigeant de « Lutte continue », un mouvement marxiste ouvriériste, a été condamné à 14 ans de réclusion pour le meurtre, en 1972 à Milan, de Luigi Calabresi, un commissaire de police.

. Giovanni ALIMONTI, né à Rome le 30 août 1955. Condamné, entre autres, pour la tentative d’homicide en 1982 d’un vice-préfet de la police de Rome, tout comme Marina Petrella. Il doit exécuter une peine de 11 ans et demi de prison, pour « participation à une bande armée » et « association à finalité terroriste ».

. Enzo CALVITTI, né à Mafalda (Molise, centre du pays) le 17 février 1955. Lui aussi membre des Brigades rouges, il a été condamné à une peine de réclusion de 18 ans pour des délits d’« association à finalité terroriste » et « participation à une bande armée ». Selon son avocat, M. Calvitti vit en France avec un titre de séjour — « pas du tout en clandestin » — et y a exercé la profession de psychothérapeute jusqu’à sa retraite l’an dernier.

. Luigi BERGAMIN : cet Italien né en août 1948 à Citadella, près de Padoue (nord) est un ancien militant du groupe Prima Linea. Il avait vu la justice française refuser son extradition au début des années 90. Il est réclamé par l’Italie pour son implication dans le meurtre d’un agent de police, Andrea Campagna, tué à Milan en avril 1979 et dans celui d’un agent pénitentiaire, Antonio Santoro, tué à Udine (nord-est) en juin 1978 par Cesare Battisti.

. Raffaele VENTURA : né le 25 octobre 1949, cet ancien membre des Formations communistes combattantes a été condamné à 24 ans de prison pour le meurtre d’un policier, Antonio Custra, en mai 1977 à Milan, selon les autorités italiennes. Ses avocats en France affirment que ce réalisateur de 71 ans a été membre du mouvement « autonomie ouvrière », « qui n’a jamais préconisé la lutte armée ». « Il a acquis la nationalité française et sa situation a été régularisée en France depuis 1982 en application de la doctrine dite Mitterrand, validée par trois présidences successives », assurent Me Jean-Pierre Mignard et Pierre-Emmanuel Blard. « Il a toujours nié les faits qui lui sont reprochés » et « refuse son extradition », poursuivent-il.

. Maurizio DI MARZIO (recherché) : cet ancien responsable des Brigades rouges, âgé d’une soixantaine d’années, avait été interpellé en 1994 à Paris, sur mandat d’arrêt international italien, considéré comme impliqué lui aussi dans la tentative d’enlèvement d’un vice-préfet de police. Il avait été condamné à 18 ans de réclusion à Rome en 1992 pour des faits de terrorisme, d’organisation de bande armée, des séquestrations et un hold-up.