(Dublin) Après l’annonce de la démission de la première ministre nord-irlandaise Arlene Foster, victime des tensions créées par le Brexit, la course à sa succession s’est ouverte jeudi, sur fond de conflit interne et de crainte d’un regain des violences.

Visée par une fronde dans ses propres rangs, la cheffe de l’ultraconservateur parti unioniste démocrate (DUP), a annoncé mercredi qu’elle quitterait le 28 mai la tête de la formation politique et son poste de première ministre fin juin.

La course qui s’ouvre pour lui succéder et la ligne politique qui en sortira sont décisives à un an des élections pour renouveler le Parlement et l’exécutif locaux, des institutions très fragiles censées garantir une gouvernance partagée entre les différentes communautés. Elle intervient en pleine période de turbulences dans la province de 1,9 million d’habitants.

Les contrôles induits par le Brexit sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne suscitent chez les unionistes sentiment de trahison et colère, donnant lieu en début de mois plusieurs nuits de violents heurts, où 88 policiers ont été blessés.

Le Brexit a réveillé les tensions communautaires à l’origine de la sanglante période des « Troubles », opposant catholiques partisans de la réunification avec l’Irlande, protestants favorables à la couronne, et armée britannique, qui ont fait 3500 morts jusqu’à l’accord de paix du Vendredi saint en 1998.

Destiné à éviter une frontière physique entre la province britannique et la République d’Irlande, membre de l’UE, le protocole nord-irlandais instaure les contrôles sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne.

« Le successeur de Foster devra commencer son mandat par un discours très direct sur les difficultés d’un abandon du protocole », a souligné l’éditorialiste Alex Kane dans le Belfast Telegraph, estimant que « l’unionisme a besoin d’un mélange de pragmatisme enveloppé dans la force d’une réponse cohérente au protocole ».

Le futur dirigeant du DUP héritera d’un parti en crise, aussi véhément contre le protocole nord-irlandais qu’impuissant pour empêcher son adoption, en raison de la large majorité au Parlement de Westminster obtenue par le premier ministre britannique Boris Johnson fin 2019.

« Impasse »

Si aucun candidat ne s’est encore formellement déclaré, Edwin Poots, député au Parlement local occupant le poste de ministre de l’Agriculture, fait figure de favori.

Considéré comme un tenant d’une ligne dure dans un parti qui a souvent considéré Arlene Foster comme trop modérée, M. Poots rejette la théorie de l’évolution et est convaincu que le monde a été créé 4000 ans avant Jésus Christ.

Également cités, bien que considérés comme plus modérés, les députés au Parlement britannique Jeffrey Donaldson et Gavin Robinson.

Parmi les autres possibles candidats cités, Ian Paisley junior, fils du fondateur du parti, est vu comme un franc-tireur et traîne derrière lui un scandale autour de ses dépenses parlementaires.

Tenant d’une ligne dure sur le Brexit, Samy Wilson peut être vu comme un personnage intransigeant, pour essayer de détricoter les dispositions controversées en Irlande du Nord.

Si le « majoritairement conservateur DUP va à présent très certainement virer à droite », « tout le monde en son sein est douloureusement conscient que ça les mènera dans une impasse », a écrit dans les colonnes de l’Irish Times le commentateur politique Newton Emerson. « La plupart réalisent que le choix pragmatique est d’encaisser le coup », mais « ils ne peuvent pas s’y résoudre ».

Acculée par une rébellion interne soutenue par 80 % des élus régionaux et nationaux du parti selon la BBC, Arlene Foster a été poussé à annoncer sa démission.

Dans un contexte brûlant en raison du Brexit, elle a payé son abstention lors d’un vote au Parlement régional pour appeler à l’interdiction des thérapies de conversion pour les homosexuels. Une position vue comme trop timide par la frange la plus conservatrice du DUP, opposée aux droits des LGBT et à l’avortement.

S’y ajoute sa décision d’envoyer un représentant du parti lors d’un sommet avec les dirigeants irlandais, malgré la conviction largement répandue dans ses rangs qu’une telle réunion au sujet du protocole nord-irlandais devrait être boycottée.

Si un partisan d’une ligne dure la remplace, cela risque de compliquer la cogestion de la province, prévue par l’accord du Vendredi saint, avec les républicains du Sinn-Fein, situés à gauche.