Le président des États-Unis, Joe Biden, a reconnu samedi le génocide arménien à l’occasion de son 106e anniversaire, devenant le premier président des États-Unis à décrire ainsi le massacre et la déportation de millions d’Arméniens par l’Empire ottoman. Sa déclaration a eu un grand retentissement au sein de la diaspora arménienne au Canada.

La déclaration

« Le peuple américain honore tous les Arméniens qui ont péri dans le génocide qui a commencé il y a 106 ans aujourd’hui », a déclaré Joe Biden lors d’une conférence de presse. Ses prédécesseurs avaient évité d’user de ce terme par crainte de représailles de la Turquie, allié clé des États-Unis. « Chaque année, en ce jour, nous nous souvenons de la vie de tous ceux qui ont péri dans le génocide arménien de l’époque ottomane et nous nous engageons à nouveau à empêcher qu’une telle atrocité se reproduise », a affirmé solennellement le 46e président des États-Unis. De New York à Paris, les diasporas arméniennes ont célébré la Journée nationale de commémoration du génocide de 1915. L’année dernière, à pareille date, Joe Biden avait affirmé que ne pas désigner les atrocités commises contre le peuple arménien comme un génocide ouvrirait la voie à de futures atrocités de masse. « Le silence est complice », avait-il déploré.

PHOTO ED JONES, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des membres de la communauté arménienne de New York ont défilé dans les rues de Manhattan, samedi.

Le génocide

Les historiens estiment qu’un million et demi d’Arméniens ont été tués et 2 autres millions ont été déportés par l’Empire ottoman, alors allié à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie durant la Première Guerre mondiale. Reconnu par une vingtaine de pays, dont le Canada, le génocide arménien est vigoureusement contesté par la Turquie. Le pays reconnaît des massacres, mais récuse le terme de génocide, évoquant une guerre civile doublée d’une famine. Le premier ministre de l’Arménie, Nikol Pachinian, a salué la prise de position du président américain, qu’il a décrite comme un « pas puissant vers le rétablissement de la vérité et de la justice historiques, un soutien inestimable pour les descendants des victimes du génocide arménien ». En décembre 2019, le Congrès américain avait reconnu le génocide arménien à l’occasion d’un vote symbolique, mais Donald Trump, alors président, avait refusé d’utiliser ce mot. Entretenant de bonnes relations avec la Turquie, il avait parlé de l’« une des pires atrocités de masse du XXe siècle ».

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN, ASSOCIATED PRESS

Les Arméniens estiment qu’un million et demi des leurs ont été tués de manière systématique pendant la Première Guerre mondiale par les troupes de l’Empire ottoman.

La Turquie réplique

Ankara n’a pas tardé à riposter à Washington. Le président lui-même, Recep Tayyip Erdoğan, a dénoncé « la politisation par des tiers » de ce débat, dans un message adressé à la communauté arménienne. Le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a aussi rejeté « dans les termes les plus forts la déclaration du président des États-Unis concernant les évènements de 1915 faite sous la pression des milieux arméniens radicaux et des groupes anti-Turquie ». Pour l’expert Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand sur la politique américaine à l’Université du Québec à Montréal, c’est un débat sémantique à la portée puissante. « Lorsque le président américain parle, ce n’est pas n’importe quel leader. Il a un poids sans parallèle », estime-t-il. Peu de temps après la déclaration de Joe Biden, la Turquie a convoqué l’ambassadeur des États-Unis pour protester contre la reconnaissance par le président américain du génocide arménien, a rapporté l’agence de presse d’État Anadolu.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Recep Tayyip Erdoğan, président de la Turquie

Des implications géopolitiques

Pour Rafael Jacob, se mettre à dos le gouvernement turc « n’est pas une considération bénigne ». Il décrit ce pays au carrefour de l’Europe et de l’Asie comme un acteur important sur la scène géopolitique, « tiraillé entre un front démocrate et un front autoritaire ». Selon lui, on peut légitimement penser qu’une telle sortie aura des impacts sur la relation diplomatique entre Ankara et Washington. D’ailleurs, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a qualifié la Turquie de « soi-disant partenaire stratégique » qui, « par de nombreux aspects, ne se comporte pas comme un allié ». Quelques minutes après la déclaration de Joe Biden, les consulats des États-Unis en Turquie ont annoncé que leurs bureaux seraient fermés lundi et mardi par « mesure de précaution ».

Soulagement pour les Arméniens d’ici

Au Canada, la diaspora arménienne a poussé un soupir de soulagement. « La reconnaissance du génocide des Arméniens revêt une grande signification symbolique, surtout sur le plan de la mémoire collective humaine. Il est crucial que les gouvernements du monde entier défendent la vérité et qu’ils reconnaissent et condamnent le génocide des Arméniens », a affirmé à La Presse Sevag Belian, directeur du Comité national arménien du Canada. Le directeur du Comité national arménien du Québec, Apraham Niziblian, ne croyait plus voir cette reconnaissance de son vivant. « Ça fait presque 40 ans que je milite pour ça. Avec Trump, j’avais perdu tout espoir. Je n’y croyais plus », explique M. Niziblian, Arménien de troisième génération et Québécois. Ces derniers jours, il ne dormait plus. « On se doutait que Biden allait faire l’annonce, mais j’étais encore sceptique. C’est seulement quand j’ai pu l’entendre moi-même que j’ai pu reprendre mon souffle », raconte-t-il, encore remué.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press