Le déploiement de la 5G en France ne se fait pas sans heurts, tant s’en faut. Méfiance et vandalisme sont devenus indissociables du nouveau réseau cellulaire. Reportage à Contes, un petit village du sud de la France où même le maire fait de la résistance.

(Contes, France ) À quelques kilomètres de Nice, à la jonction entre les Alpes et la Méditerranée, le vert des pins et des oliviers se découpe sur un ciel à peine tacheté de nuages. Pour accéder aux rues étroites du village de Contes, situé à flanc de montagne, il faut prendre un funiculaire, puis un deuxième, puis il faut du courage pour grimper. Danielle, 76 ans, est une habituée du parcours. Du haut de ses années et de son mètre cinquante, elle ne manque certainement pas de détermination et adore faire découvrir son village. « Ça fait un bon nombre d’années que je suis là, et je n’ai jamais regretté. Regardez cette vue ! Ça vaut le coup d’être protégé, pas d’être recouvert d’une horreur. »

L'« horreur » dont elle parle est au sommet de la colline. Plus de 20 mètres de hauteur, de métal et de technologie, c’est une antenne 5G, déployée par l’opérateur téléphonique et internet Free. « Je ne comprends pas l’utilité de faire une chose pareille. On est un village, mais on a déjà la 4G, et vous savez, on dit de ces choses sur la 5G… »

PHOTO ILIES HAGOUG, COLLABORATION SPÉCIALE

L'antenne 5G de Contes a été érigée au sommet de la colline qui domine le village.

Danielle est loin d’être la seule Contoise à ne pas vouloir de cette antenne, puisque bon nombre d’habitants ont décidé de prendre le taureau par les cornes et de fonder un collectif pour lutter contre l’installation de cette technologie nouvelle sur leur territoire, baptisé NARF (Non à l’antenne-relais Free). Le maire de la ville, Francis Tujague, les a rapidement soutenus ; rien d’étonnant pour quelqu’un qui est élu maire depuis plus de 20 ans, l’année dernière avec plus de 80 % des voix. Il explique : « Lorsque Free est venu à ma rencontre, je leur ai rapidement signifié que nous n’allions pas être d’accord. La mairie a donc naturellement refusé tout permis de construire. »

Ce grand gaillard de 73 ans, communiste, a épousé une Contoise dans les années 1970 et n’est jamais reparti.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA MAIRIE DE CONTES

Francis Tujague, maire de Contes

Ils ont pu construire leur antenne, implantée sur un terrain où normalement poussent les oliviers, et elle dénature le grand paysage de la commune. Il y a aussi, bien sûr, de la part des riverains, une inquiétude de santé, sur laquelle je ne me prononce pas, car je ne suis pas un expert. Mais ce que je vois, c’est que contrairement aux autres antennes, celle-là est implantée directement au-dessus de maisons.

Francis Tujague, maire de Contes

Le déploiement de la 5G nécessite en effet un maillage beaucoup plus resserré, et demande de construire de nombreuses antennes, ce qui le rend extrêmement visible et soulève des questions chez les Français.

L'inquiétude générale vis-à-vis de la santé est par ailleurs loin d’être un sentiment limité à une petite ville des Alpes-Maritimes. D’après un sondage de l’IFOP, 51 % des Français pensent que la 5G a des effets néfastes avérés sur la santé, et 72 % se montrent inquiets de la capacité de la technologie à récolter des données personnelles.

PHOTO CHARLES PLATIAU, REUTERS

Bannières contre la 5G déployées à Fontenay-sous-Bois, près de Paris, en décembre

Antoine Dreyfus, journaliste, est l'auteur du livre 5G : mauvaises ondes. Il s’est penché précisément sur la question : « C’est un débat extrêmement clivant en France, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur le terrain. La 5G concentre beaucoup de problématiques, dans un contexte de vague écologiste dans tout le pays. Les maires protègent leur droit à décider l’urbanisation de leur commune, certains citoyens ont l’impression qu’on les force à adopter une technologie chère, et dont on ne sait pas grand-chose de l’utilité ou des conséquences qu’elle peut avoir. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas eu de débat public avant l’adoption, et qu’il n’y a aucun consensus scientifique sur les effets sur la santé. L’absence de réponses à ces interrogations entretient l’opposition, parfois de la part de complotistes, mais pour la plupart des citoyens inquiets. »

Et l’opposition se met en place sur tout le territoire français. Le maire écologiste de Grenoble, Éric Piolle, a demandé un moratoire sur la question au gouvernement français. La réponse d’Emmanuel Macron fut cinglante : « La France va prendre le tournant de la 5G. Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine », faisant référence à ces communautés américaines traditionalistes qui vivent en autarcie à la campagne et qui refusent toute technologie moderne.

Le village de Contes mène aussi son combat, en portant l’affaire devant les tribunaux, par l'entremise de son maire : « Tout ce que dit M. Macron n’est pas parole d’Évangile. Nous avons perdu en référé, mais ce n’est que le début. Le propriétaire du terrain le loue à Free parce qu’il n’habite pas ici et qu’il n’est intéressé que par l’argent. »

Parce que malgré la volonté du maire et des habitants, l’antenne trône toujours au-dessus de Contes à l’heure actuelle. Alors, certains ont décidé d’employer les grands moyens : deux hommes ont été interpellés en juin 2020 en flagrant délit de tentative d’incendie du site. « Ils ne sont pas d’ici et n’ont rien à voir avec le collectif », tempère M. Tujague. Mais au sein du village, parmi les habitants, beaucoup approuvent à demi-mot. Comme cette commerçante, qui préfère garder l’anonymat : « Ils vont aller en prison, mais peut-être que c’est pour une bonne cause… »

PHOTO ILIES HAGOUG, COLLABORATION SPÉCIALE

L'Église du village de Contes

Les méfaits de Contes sont loin d’être un cas isolé, puisque sur la seule année 2020, ce sont environ 90 sites qui ont été endommagés en France. La plupart du temps, il s’agit d’incendier les antennes, pendant ou après les travaux. De quoi inquiéter les autorités et la gendarmerie nationale, qui prend la situation très au sérieux, en ayant fondé une unité de surveillance spécialisée, baptisée Oracle.

Le commandant Elinor Boularand, officier de presse de la gendarmerie, est au courant du travail que représente l’opposition à la 5G : « Nous travaillons très activement sur la question, avec 31 mises en examen, pour des peines de prison qui peuvent aller jusqu’à cinq ans. Il s’agit parfois de gens déçus de la société, sceptiques sur la notion de progrès, avec un impact certain du mouvement des gilets jaunes. Pour beaucoup également, les suspects sont affiliés à des mouvements d’ultra-gauche assez organisés et radicaux, pour qui la 5G fait partie d’un combat global. »

PHOTO NICOLAS MAETERLINCK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation en septembre dernier à Bruxelles, en Belgique, contre la technologie 5G

La gendarmerie sonde régulièrement les forums et réseaux sociaux, où le débat sur la 5G est le plus actif : « L’année dernière, par exemple, on avait intercepté un certain nombre de messages qui promettaient un mois de mai dangereux sur la question, et ça s’est vérifié sur le terrain. » La France n’est pas le seul pays où la 5G fait débat, mais c’est celui où la lutte contre les antennes est la plus active. « C’est peut-être culturel, en Belgique le débat est aussi présent qu’ici, mais il y a eu un seul incendie d’antenne, soulève Antoine Dreyfus. Je pense que c’est symptomatique d’un manque de communication entre le gouvernement et ses citoyens, mais aussi d’une société où les zones de gris dans les débats n’existent plus. »

Un nouveau réseau controversé

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, REUTERS

Une antenne-relais 5G installée près de Nantes, semblable à celle qui a été érigée à Contes

La 5G est une nouvelle version du réseau de diffusion de données cellulaires, qui vise à obtenir des débits similaires à ceux d'une connexion en fibre optique. En France, la mise en place des moyens nécessaires à cette technologie a commencé en 2019. Les opérateurs ont chacun dû s’acquitter de 2,8 milliards d’euros (4,21 milliards CAN) pour pouvoir déployer les ondes 5G sur le territoire, avec de premières offres compatibles proposées depuis la fin de l’année 2020. Cette technologie est controversée du fait de son coût de mise en place, d’inquiétudes sur les effets des ondes sur la santé et du nombre important d’antennes construites, qui ont une forte dépense énergétique.