Il y a près d’un an, la Suède a été l’un des seuls pays d’Europe à ne pas imposer de mesures de confinement ni le port du masque. Frappé par un taux élevé de mortalité, le pays a depuis revu son approche.

« Jouer avec le feu »

La pandémie était mal comprise il y a un an. Devant l’inconnu, le principe de précaution aurait dû prévaloir en Suède comme ailleurs, croit François Audet, professeur agrégé à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal. « En cas de doute, on confine. En cas de doute, on met un masque. Ne pas le faire, c’est jouer avec le feu. » La Suède a suivi l’hypothèse de l’immunité de masse — on a isolé les populations âgées, approche risquée puisque les conséquences d’une infection étaient mal connues, dit-il. « À ce jour, aucun pays n’a atteint cette fameuse immunité. » Cela dit, cette absence de mesures imposées était socialement acceptée en Suède. « Je ne juge pas le comportement sociétal, dit M. Audet. Politiquement, ici, ça n’aurait pas été accepté. Mais c’est sûr que, parmi les gens morts en Suède, certains auraient pu ne pas mourir. »

« Pas de deuxième vague »

Durant l’été 2020, Anders Tegnell, principal épidémiologiste du pays et architecte de sa stratégie pour combattre la pandémie, a prédit que la Suède ne verrait « probablement pas » de deuxième vague de cas à l’automne. Or, l’automne a été particulièrement dévastateur en Suède, avec 4625 nouvelles infections rapportées chaque jour au début du mois de novembre, poussant les unités de soins intensifs des hôpitaux à bout de ressources. Alors que les taux d’infections sont semblables à ceux de l’Europe, la maladie a jusqu’ici fait en proportion beaucoup plus de morts en Suède que dans les pays voisins : on enregistre un taux de décès de 125 morts pour 100 000 habitants en Suède, contre 11 en Norvège, 13 en Finlande et 40 au Danemark, selon les données de l’Université Johns Hopkins.

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Anders Tegnell, épidémiologiste en chef de la Suède, lors d’une conférence sur l’état de l’épidémie dans le pays en octobre 2020

La Suède « abandonne le modèle suédois »

À l’automne 2020, il ne faisait aucun doute que les Suédois devaient changer de tactique. À la mi-novembre, le gouvernement a pour la première fois interdit les rassemblements de plus de huit personnes et banni la vente d’alcool dans les restaurants et les bars après 22 h. « Même la Suède semble abandonner le modèle suédois », écrivait le Washington Post. Selon une étude de l’Université McGill, la décision du gouvernement suédois de ne pas faire part au public des risques liés à la transmission du virus par des personnes asymptomatiques ainsi que sa réticence à appuyer le port du masque « a pu être responsable d’un faux sentiment de sécurité » au pays. Dans une rare entrevue, le roi de Suède, Charles XVI Gustave, a déclaré en décembre, au sujet de la stratégie déployée en Suède : « Je pense que nous avons échoué. »

Troisième vague ?

À la fin du mois de février, le spectre d’une troisième vague d’infections menaçait la Suède, avec une hausse de 27 % des cas de COVID-19 à Stockholm, la capitale. Longtemps réfractaires à l’idée d’exiger le port du masque, les autorités changeaient peu à peu leur position : le gouvernement suédois a averti la population qu’il travaillait à « une série de nouvelles mesures » visant à freiner la propagation du virus et celle, notamment, du variant plus contagieux d’abord observé au Royaume-Uni. Le 23 février, les autorités de Stockholm ont pour la première fois recommandé le port du masque dans les transports publics en tout temps et veulent également l’étendre aux magasins et aux bureaux.

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Avant de recommander le port du masque en tout temps dans les transports publics, les autorités suédoises suggéraient de le porter aux heures de pointe seulement.

Ballon politique

Benoit Barbeau, virologue à l’UQAM, note que l’exemple de la Suède a vite été politisé. « On essaie toujours de se raccrocher à des exemples. Si vous êtes anticonfinement, que vous vous sentez étouffé par rapport à des mesures qu’on vous impose, vous allez chercher le modèle qui justifie vos propos, et c’est ce qui s’est passé avec la Suède. On l’a senti dès le départ. D’un autre côté, on voit l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont adopté des mesures de confinement très agressives, et ça a joué à leur avantage. Cela dit, avec le recul, le Québec a fait ses erreurs, on a appris, mais la tendance qu’on a suivie était la bonne. »