(Genève) Les Suisses ont voté dimanche à une courte majorité en faveur de l’interdiction de se dissimuler le visage, un signal contre l’islam radical selon ses partisans, une initiative xénophobe et sexiste pour les autres.

Le texte, initialement proposé par le parti populiste de droite UDC, a obtenu 51,21 % des voix et une majorité de cantons, selon les résultats officiels publiés par le gouvernement fédéral.

Il a été soutenu par des féministes et une partie des électeurs de la gauche laïque.  

« Nous nous réjouissons. Nous ne voulons pas qu’il y ait un islam radical dans notre pays », a lancé le président de l’UDC Suisse, Marco Chiesa sur la chaîne Blick.tv.

Le texte n’évoque ni la burqa — une large pièce de tissu qui couvre de la tête aux pieds et munie d’une fente grillagée à hauteur des yeux — ni le niqab, qui couvre entièrement le corps et le visage à l’exception des yeux, mais les affiches de campagne ne laissaient pas de doute sur l’objet du référendum.

En votant contre le port du voile intégral dans l’espace public, la Suisse rejoint la France, l’Autriche, la Bulgarie, la Belgique et le Danemark, après des années de débat.

PHOTO DENIS BALIBOUSE, REUTERS

Un homme procède au dépouillement des bulletins dans un bureau de vote de Lausanne.

Il sera donc désormais interdit de se couvrir complètement le visage en public — ce qui vaut aussi pour des manifestants cagoulés — mais des exceptions sont prévues pour les lieux de culte par exemple.

Les Suisses se sont par ailleurs prononcés en faveur d’un accord commercial avec l’Indonésie (51,65 %) mais ont rejeté largement l’introduction d’une identité électronique fédérale gérée par le privé (64,36 % pour le non).

Touristes

Le Oui risque de « banaliser l’ambiance xénophobe et raciste » à l’encontre des musulmanes, a déclaré Myriam Mastour, membre du collectif Les Foulards Violets et de la grève féministe sur la chaîne publique RTS. En revanche elle se réjouit du faible écart entre le Oui et le Non, alors que les premiers sondages donnaient l’initiative de l’UDC largement favorite.

Selon les opposants, le port du voile intégral n’est pas un sujet en Suisse, où on estime à quelques dizaines les femmes ainsi vêtues, en général des converties. Ce sont surtout de riches touristes que l’on voit ainsi vêtues fréquenter les boutiques chics de Genève ou Zürich.

Ce résultat, « c’est un immense soulagement », a dit Mohamed Hamdaoui, député au Grand Conseil bernois et fondateur de la campagne « À visage découvert » à l’agence ATS. « Ce vote est révélateur d’une prise de conscience », selon ce membre du PS, qui se revendique musulman laïque. C’était « l’occasion de dire stop à l’islamisme » et pas « aux musulmans, qui ont évidemment toute leur place dans ce pays », a-t-il souligné.

« L’interdiction du voile intégral n’est pas une mesure visant la libération des femmes. Il s’agit au contraire d’une dangereuse politique symbolique qui viole la liberté d’expression et de religion », accuse Cyrielle Huguenot, responsable des droits des femmes à Amnistie internationale Suisse, citée dans un communiqué.

Selon les chiffres de l’Office des statistiques de 2019, environ 5,5 % de la population suisse est musulmane, essentiellement avec des racines en ex-Yougoslavie, où cette tradition vestimentaire est absente.

Le gouvernement fédéral et le parlement s’opposaient à cette mesure.

En 2009, les Suisses avaient déjà voté l’interdiction de la construction de minarets sur les mosquées, provoquant la colère dans les pays musulmans et l’approbation des partis nationalistes européens.

Peu après le vote dimanche quelque 150 manifestants — essentiellement des jeunes — se sont rassemblés contre l’initiative à Berne, a constaté un journaliste de l’AFP. « Il faut décoloniser la femme musulmane », pouvait-on lire en allemand sur une pancarte ou encore « Ma tête m’appartient » sur une autre arborant une tête de mannequin voilée.