(Tbilissi) Plusieurs milliers de partisans de l’opposition ont manifesté mardi en Géorgie contre l’arrestation musclée d’une personnalité politique de premier plan, une mesure qui risque d’aggraver la crise politique en cours dans ce pays du Caucase depuis les législatives d’octobre.

En fin d’après-midi, les protestataires se sont réunis devant le siège du gouvernement, à Tbilissi, pour dénoncer l’interpellation de Nika Melia et exiger des élections anticipées.

Arrêté dans les locaux de son parti

M. Melia, le chef du principal parti d’opposition géorgien, le Mouvement national uni (MNU), a été extirpé mardi matin des locaux de sa formation politique, dans la capitale, pour être placé en détention provisoire.

Des centaines de policiers antiémeute ont alors utilisé du gaz lacrymogène contre ses partisans et des dirigeants de tous les partis d’opposition, qui campaient devant le bâtiment depuis près d’une semaine.

Des dizaines de personnes soutenant l’opposition ont également été interpellées au cours de cette intervention des forces de l’ordre vivement dénoncée par les alliés occidentaux de la Géorgie.

« Nous avons besoin d’urgence d’élections libres et honnêtes pour nous débarrasser de ce gouvernement qui détruit la démocratie », a affirmé à l’AFP Ilia Togonidzé, un manifestant de 20 ans.

L’opposition a appelé à une nouvelle marche vendredi à Tbilissi.  

« Usage proportionné de la force »

Le ministère géorgien de l’Intérieur a soutenu pour sa part que la police avait fait « un usage de la force proportionné et utilisé des moyens spéciaux » lors de l’arrestation de M. Melia.

Le porte-parole du parti au pouvoir a lui jugé que la « polarisation » de la politique géorgienne est due à « des délinquants faisant de la politique et pas à l’envoi en prison de soi-disant hommes politiques. »

Cette action de la police est intervenue après la démission jeudi du premier ministre, Giorgi Gakharia, qui a mentionné un désaccord au sein du parti au pouvoir sur l’application de la décision judiciaire, rendue la semaine dernière, de placer Nika Melia en détention.

L’opposant est accusé d’avoir organisé des « violences de masse » pendant des manifestations d’envergure en 2019, risquant à ce titre neuf ans de prison, mais rejette ces accusations, qu’il estime de nature politique.

Les États-Unis se sont déclarés « profondément préoccupés » par son arrestation et ont prévenu qu’elle allait à l’encontre des aspirations de la Géorgie à une plus grande intégration dans la communauté « euro-atlantique ».

« Nous appelons toutes les parties à éviter des actes qui aggraveraient l’escalade des tensions et à entamer des négociations de bonne foi pour résoudre la crise politique », a affirmé le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price.

L’émissaire de l’Union européenne, Carl Hartzell, a pour sa part regretté que « la logique d’une escalade l’emporte ».

L’ambassadeur français, Diego Colas, a dit à l’AFP qu’il suivrait « avec une grande attention » la façon dont Nika Melia sera jugé, attendant un respect « des droits de la défense » et de « tout ce qui contribue à la désescalade ».

« Système démocratique brisé »

L’arrestation de M. Melia, 41 ans, pourrait davantage encore fragiliser la démocratie en Géorgie, confrontée à une crise politique depuis les élections législatives d’octobre.

Les partis d’opposition ont affirmé que ce scrutin avait été truqué après que le Rêve géorgien, la formation au pouvoir, a revendiqué une courte victoire.  

Lundi, le Parlement a confirmé la nomination au poste de chef du gouvernement du ministre de la Défense, Irakli Garibachvili, qui a alors immédiatement annoncé l’arrestation prochaine de M. Melia.

Le nouveau premier ministre est considéré comme un fidèle de Bidzina Ivanichvili, le fondateur du parti Rêve géorgien et l’homme le plus riche du pays, soupçonné de contrôler le pouvoir en sous-main.

Au pouvoir depuis 2012, le parti Rêve géorgien a vu sa popularité décliner sur fond de stagnation économique et d’accusations d’atteinte aux principes démocratiques dans cette ex-république soviétique.

Pour Matthew Bryza, du cercle de réflexion américain Atlantic Council, la Géorgie est arrivée à un point où « les partis d’opposition disent ne plus pouvoir siéger au Parlement, car le système démocratique géorgien est brisé ».

« Sans une médiation plus grande de l’Occident, la situation pourrait devenir très dangereuse », a ajouté cet ancien diplomate.