(Bruxelles) L’UE se doit de réagir au camouflet infligé par le Kremlin à son émissaire Josep Borrell durant sa visite à Moscou, mais les États membres sont divisés sur les sanctions envisagées, par crainte de conséquences économiques et diplomatiques.

Les raisons de la colère ?

Josep Borrell s’est rendu à Moscou du 4 au 6 février à l’invitation du Kremlin pour la première visite d’un chef de la diplomatie européenne en Russie depuis 2017. L’opportunité de son déplacement a été contestée par plusieurs États membres après l’arrestation d’Alexeï Navalny et sa condamnation à deux ans et huit mois de prison. La mission de l’Espagnol avait un double objectif : renouveler la demande de libération immédiate de l’opposant et sonder la volonté de coopération du Kremlin. La fin de non-recevoir et l’expulsion de trois diplomates européens pendant son entretien avec le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov ont montré que « Moscou refuse le dialogue ». L’UE doit en « tirer les conséquences », a soutenu Josep Borrell de retour à Bruxelles.

Quels sont les leviers de l’UE ?

Les Européens ont une panoplie de sanctions économiques à leur disposition. Ils les utilisent depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Des mesures touchant les secteurs de l’industrie du pétrole, de la banque et de la défense sont renouvelées chaque année depuis cette date. Les Européens ont également frappé l’entourage du président Vladimir Poutine après la tentative d’empoisonnement de Navalny avec un neurotoxique militaire, le Novitchok. Six membres de la présidence ont été interdits de séjour dans l’UE et leurs avoirs ont été gelés.

L’efficacité de ces sanctions a été mise en doute par Navalny, qui a recommandé de « frapper au portefeuille » des proches du Kremlin. Le Parlement européen a voté une résolution pour demander de « sanctionner les oligarques russes liés au régime, les membres de la garde rapprochée du président Poutine et les propagandistes actifs dans les médias qui possèdent des actifs dans l’UE ».

Les eurodéputés réclament aussi l’arrêt du gazoduc Nord Stream 2 construit entre l’Allemagne et la Russie.

Comment se décident les sanctions ?

Les sanctions doivent être proposées par un ou  plusieurs États membres et leur adoption nécessite l’unanimité. À ce jour, aucune demande n’a été formellement présentée. Mais plusieurs pays réclament une punition. L’Allemagne est du nombre. Moscou a expulsé le numéro 3 de l’ambassade d’Allemagne à Moscou, un diplomate polonais et un Suédois. « Une position dure avec la Russie est le seul langage que Poutine comprend », soutient l’ancien secrétaire général de l’OTAN, le danois Anders Fogh Rasmussen, dans un entretien à La Libre Belgique.

Les collaborateurs de Josep Borrell vont rencontrer mardi les représentants des États membres au sein du Comité de Politique et de Sécurité (COPS) à Bruxelles et le Haut Représentant va informer le même jour le Parlement européen des résultats de sa visite. Une réunion des ministres des Affaires étrangères est planifiée pour le 22 février pour préparer une réaction.

Marges de manœuvre de l’UE ?

« Les décisions seront difficiles », a confié un ministre des Affaires étrangères à l’AFP. « Moscou teste la volonté et la capacité de l’UE à sanctionner et aussitôt les divergences apparaissent », souligne un diplomate à Bruxelles.

Berlin soutient l’adoption de sanctions, mais refuse de toucher à Nord Stream 2. « C’est un projet privé, et il concerne la sécurité des approvisionnements de l’Allemagne », insiste-t-on à Berlin. Paris a pris acte de ce refus. La décision « relève de la responsabilité de l’Allemagne », a déclaré le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian.  

« L’argent a pris le dessus et, en fin de compte, chaque État membre se préoccupe d’abord de ses propres intérêts », déplore le représentant d’un État membre.

Les sanctions contre les oligarques sont tout aussi difficiles, car il faut justifier l’infraction sanctionnée par l’UE et s’assurer qu’elle est inattaquable devant la justice européenne.

Un accord peut être trouvé entre les 27 pour sanctionner d’autres membres de la présidence russe considérés comme responsables de la répression contre les partisans de Navalny, mais obtenir davantage sera difficile, estime un diplomate.  La plupart des États membres ne veulent pas rompre avec Moscou et s’inquiètent d’un risque d’escalade avec un voisin ombrageux, membre du Conseil de Sécurité et puissance engagée dans plusieurs régions du globe où l’UE a des intérêts à défendre (Ukraine, Caucase, Syrie, Iran, Libye et Afrique).